Bitter - Der vergessene Geschmack
Allemand, Manuela Rüther
Déjà in utero, les bébés réagissent au goût des aliments amers en faisant la grimace. Il en va de même pour vous alors que vous êtes adulte ? Si oui, ce texte est pour vous.
Le benzoate de dénatonium est considéré comme la substance synthétique la plus amère au monde. La gentiane jaune joue dans la même ligue, mais du côté naturel : si l’on dissolvait un verre à liqueur rempli de sa substance amère, l’amarogentine, dans 58 millions de litres d’eau (soit l’équivalent d’environ 26 piscines olympiques), l’eau aurait toujours un goût amer.
Mais qu’elles soient naturelles ou synthétiques, les substances amères n’ont qu’un seul point commun : leur amertume. Elles n’appartiennent pas au même groupe chimique. Les substances amères qu’on retrouve dans nos assiettes ont elles aussi des formes très différentes : les endives, le radis, le chou, les choux de Bruxelles, les épinards, la roquette, le pamplemousse, le citron, etc. Si vous aimez les herbes (sauvages), il y a aussi le pissenlit, l’achillée, l’ortie, la livèche, le cerfeuil, l’estragon ou encore la menthe.
Si nous réagissons avec aversion aux substances amères (une dose trop élevée provoque même des haut-le-cœur), c’est à cause des papilles gustatives. Leurs récepteurs de substances amères signalent le goût au cerveau, qui sécrète l’hormone de régulation de l’appétit, la cholécystokinine ; un frein quasi naturel à l’alimentation. En effet, du point de vue de l’évolution, la perception « amère » avertit de la consommation d’aliments supposés toxiques.
Dans la nature et la chimie, la règle générale amer = toxique ne s’applique pas systématiquement. Certes, la cucurbitacine contenue dans les cucurbitacées est effectivement toxique à haute dose et les courgettes au goût extrêmement amer sont également à proscrire. Mais de nombreux autres aliments amers sont sains pour le corps.
Au cours des 20 dernières années, les chercheur·ses ont découvert des récepteurs de substances amères non seulement sur la langue, mais aussi à de nombreux autres endroits du corps : dans les cellules musculaires des organes digestifs, dans la vessie ainsi que dans les poumons et les bronches. Et ces récepteurs, écrit la médecin Yael Adler dans son guide Genial vital !, « modifient les réactions immunologiques, la fonction thyroïdienne et l’absorption des nutriments par l’intestin. On trouve également des récepteurs de substances amères dans la peau et le cerveau, mais on ne sait pas encore quel est leur rôle. »
En principe, l’humanité connaît depuis longtemps les effets bénéfiques des substances amères : la médecine ayurvédique utilisait déjà des herbes médicinales amères il y a cinq mille ans, tout comme plus tard Hildegard von Bingen pour sa médecine monastique ou encore Sebastian Kneipp dans sa naturopathie. La boisson spiritueuse amère Elixir du Suédois, devenue célèbre au 18e siècle comme panacée, est également à base d’herbes amères. Elle serait d’ailleurs une variante de l’élixir pour une vie plus longue (Elixir ad longam Vitam) de Paracelse 200 ans plus tôt. Au Moyen Âge, la connaissance populaire des vertus des herbes et aliments amers a fini par conclure que ce qui est amer dans la bouche est sain pour l’estomac.
Mais au XXe siècle, avant même que l’on ne trouve des récepteurs d’amertume partout dans le corps, les substances amères ont soudainement perdu de leur importance d’un point de vue médical. « Elles n’étaient plus utilisées qu’en apéritif et en digestif pour stimuler l’appétit et on parlait de moins en moins des légumes », écrivaient en 2017 trois chercheur·ses de la clinique de dermatologie et vénérologie du CHU de Fribourg dans leur article pour la revue spécialisée HAUT.
À quoi est-ce dû ? Probablement pour l’intérêt du secteur alimentaire : des légumes plus doux, voire sucrés, se vendent mieux que des légumes au goût amer. Ce qui est passionnant, c’est que tout le monde ne perçoit pas le goût amer de la même façon ; il y a des différences génétiques. Les enfants sont quant à eux particulièrement hostiles aux aliments amers. Cette étude, parue dans Psychological Science, a démontré que les fœtus souriaient lorsque leur mère mangeait des carottes (au goût sucré). En revanche, ils faisaient la grimace lorsque leur mère ingérait des aliments amers comme le chou vert.
Mais parlons franchement : qu’est-ce qui rend les substances amères si saines ? D’une part, elles réduisent l’appétit, d’autre part, elles favorisent la digestion en stimulant davantage la salive et les sucs gastriques, biliaires et pancréatiques via les récepteurs de substances amères. Le mouvement du tractus gastro-intestinal est également augmenté, ce qui est bon pour la digestion et la décomposition de tous les micronutriments. L’augmentation du flux de bile profite en outre au foie, ce qui est excellent pour les lipides sanguins et le taux de cholestérol.
Que se passe-t-il à la fin de ces processus ? Le sentiment d’être rassasié. Les composants amers agissent comme un frein naturel à l’alimentation et peuvent prévenir les envies de sucre. La médecine traditionnelle chinoise l’a découvert il y a longtemps et a classé l’amertume comme antagoniste du sucré. Si vous ne savez toujours pas comment intégrer les endives & Cie dans vos repas, le livre de cuisine (en allemand) de Manuela Rüther vous donnera certainement envie de vous lancer.
« Vous ne percevrez pas l’amer de la même manière que moi », écrit-elle sur son blog, car il existe autant de composés chimiques différents que de notes amères sous l’appellation « amer ». Peut-être que vous n’avez pas encore trouvé la variété amère qui vous convient. Le jugement de la photographe et autrice de livres de cuisine M. Rüther est en tout cas sans appel : « Waouh, j’adore le goût, il déclenche quelque chose dans mon palais. J’en veux plus ! »
Photo d’en-tête : shutterstockJ'aurais pu devenir enseignante, mais je préfère apprendre plutôt qu'enseigner. Jour après jour, j'apprends grâce aux articles que je rédige. J'aime particulièrement les thème de la santé et de la psychologie.