« Nos produits de beauté sont scellés sans plastique avec du liège et de la cire »
12/6/2024
Traduction: Rose-Hélène Moquet
La marque Kindred Black vend des produits de soin dans des fioles en verre fabriquées à la main. Pas de plastique ni d’étiquette, et un prix qui s’en ressent. Dans cet article, nous vous expliquons les spécificités et les défis de la slow beauty.
Combien seriez-vous prête à débourser pour un soin des lèvres teinté ? 10, 15, peut-être 20 francs ? Chez Kindred Black, ils sont vendus à 85 dollars. Et ils font partie des produits de beauté les moins chers de l’assortiment. À première vue, c’est beaucoup. Mais en y réfléchissant, ce prix a du sens.
Chaque récipient en verre de Kindred Black est fabriqué à la main et scellé avec de la cire ou du liège. Leurs ingrédients sont, selon leurs propres dires, naturels et proviennent souvent de petits fournisseurs bio et familiaux. Environ 75 % des produits sont rechargeables. Avec ce concept, la marque américaine de slow beauty offre la seule gamme au monde entièrement sans plastique, m’expliquent les fondatrices Alice Kindred Wells (38 ans) et Jennifer Black Francis (48 ans). Leur site Internet, retrace l’histoire et l’origine des différents flacons en verre et des principes actifs. Avec près de 74 000 abonnés sur Instagram, le concept semble plaire – du moins visuellement. Mais la marque est-elle rentable ? Enquête.
Vos produits s’inspirent de la philosophie de la « slow beauty ». Comment expliqueriez-vous votre gamme à une personne qui ne connaît pas le concept ?
Jennifer Black Francis : La slow beauty s’inscrit dans une démarche de produits de soins pour la peau, cosmétiques et parfums botaniques fabriqués à la main et en petites quantités. Le terme « slow », c’est-à-dire lent, représente le contraire de presque tout ce qui est fabriqué aujourd’hui : fast food, fast fashion, beauty hauls... De nos jours, tout tourne autour du changement, du chiffre d’affaires et de l’envie d’acheter quelque chose de nouveau pour libérer de la « dopamine du shopping ». Nous voulons ramener les gens à l’époque des coiffeuses, avec quatre ou cinq produits de beauté que l’on utilisait encore et encore et auxquels on restait fidèle. Une époque où la routine était ritualisée et prenait du temps.
Alice Kindred Wells : Pour y parvenir, nous prenons en compte chaque aspect d’un produit. Nous recherchons des ingrédients qui proviennent de petites fermes locales ou familiales. Nos flacons sont fabriqués à la main par des souffleurs de verre. Chaque flacon est unique, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art. Nos emballages sont en papier et nos flacons sont scellés sans plastique avec du liège et de la cire. Le mouvement « slow » ne doit pas se traduire par de simples paroles : nous aimerions voir un changement significatif dans l’industrie de la beauté.
Les produits de grande consommation dits « fast-moving consumer goods » (FMCG), tels que nous les connaissons dans l’industrie de la beauté qui évolue rapidement, peuvent rapporter beaucoup d’argent. La slow beauty peut-elle être rentable face à cela ?
Jennifer : On fait tout pour ! Depuis le premier jour, nous essayons de réduire nos dépenses au maximum. Pas de bureau chic, ni de showroom tape-à-l’œil. Nous maintenons également un budget marketing serré et nous comptons beaucoup sur le bouche-à-oreille. Notre objectif n’est pas d’être la prochaine entreprise de beauté milliardaire. Si nous pouvons nous maintenir en activité et assurer un salaire décent pour nous et tous nos collaborateurs, cela nous suffit.
Quels sont les défis liés à la production, au conditionnement et à la formulation des produits de slow beauty ? J’imagine qu’il n’est pas évident de fabriquer des soins de la peau durables.
Alice : Pour nous, l’évolutivité et l’uniformité sont les plus grands défis. Nous devons veiller à ne pas surutiliser nos ingrédients et ne pouvons pas transformer nos souffleurs de verre en machines sans volonté. De plus, un produit entièrement fabriqué à la main peut présenter de petites différences en termes de taille de flacon ou de couleur de produit. Nous considérons cela comme une force, mais il faut l’expliquer à la clientèle.
La slow beauty et l’esthétique ont manifestement un prix qui peut être rédhibitoire pour certains.
Jennifer : C’est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup. La durabilité et l’achat éthique vont souvent de pair avec un prix qui n’est pas accessible à tous. Nous aimerions avoir une solution. Ce que nous pouvons promettre aux consommateurs et aux consommatrices qui achètent nos produits, c’est que nous payons à nos agriculteurs, fournisseurs et artisans de manière juste sans jamais avoir essayé de tirer les prix vers le bas. Ce sont eux qui fixent un prix équitable pour leur travail ou leur produit. Nous espérons qu’à l’avenir, lorsque de plus grandes entreprises suivront le mouvement sur le plan éthique, il y aura davantage d’options durables dans chaque catégorie de prix.
Je n’ai jamais vu de packaging aussi beau que le vôtre dans l’industrie des cosmétiques. Quel est le secret de vos designs ?
Alice : Merci, ça nous fait très plaisir ! Nous participons toutes les deux à la conception de chaque produit. Nous commençons toujours par une idée, mais nous laissons aussi aux souffleurs de verre la liberté de travailler selon leurs compétences et leur style. Nous avons un réseau d’usines aux États-Unis et au Canada, ainsi qu’un studio de verre exceptionnel à Oaxaca, au Mexique, qui recycle le verre de la communauté locale. C’est ça qui rend nos flacons si exceptionnels.
Jennifer : Chaque flacon est unique, car il est soufflé à la main. Nous choisissons souvent la même couleur de verre pour certains ingrédients que nous aimons et que nous utilisons souvent : par exemple, un verre rose pour l’huile de rose, un verre vert pour l’huile de graines de concombre ou un verre bleu cobalt pour l’ocotillo.
Et les flacons ne sont pas étiquetés ?
Alice : Nous les laissons volontairement intacts pour conserver cette impression d’œuvre d’art, de produit apprécié et conservé faisant partie d’un rituel important.
Cela se fait facilement ?
Alice : Les règles d’emballage et d’étiquetage diffèrent selon les pays. Notre gamme étant très restreinte et sur mesure, nous ne pouvons pas nous adapter à chaque pays. Nous ne souhaitons pas modifier la nature de la gamme uniquement pour répondre aux exigences en matière d’emballage. Mais cette année, nous avons décidé de voir s’il serait possible de nous conformer à ces dispositions sans trahir l’intégrité de notre idée.
J’ai lu que vous consacriez plus du double de vos coûts de production à l’emballage.
Jennifer : Ça peut parfois faire très mal, mais nous pensons que cela en vaut la peine. L’industrie de la beauté est saturée de flacons et de produits fabriqués en masse. Nous pensons que plus le produit est unique, plus les clients l’utiliseront tous les jours et jusqu’à ce qu’il soit épuisé. C’est notre objectif. Nous voulons que les gens réfléchissent à ce qu’ils consomment et qu’ils puissent s’acheter des produits qu’ils utilisent et qui vont également décorer leur maison. Ça peut paraître ringard, mais il s’agit d’une véritable consommation consciente. Et nous n’y parviendrons que si nous nous en tenons à notre vision, quel qu’en soit le coût.
Vous utilisez du liège et de la cire pour sceller vos flacons. Pourquoi ?
Jennifer : Nous tenons cette idée de l’Antiquité, quand les Grecs et les Romains utilisaient des méthodes similaires pour sceller et transporter leurs vins et leurs huiles. C’était une excellente façon de ne pas utiliser de plastique. L’inconvénient, c’est qu’on ne peut pas transporter nos fioles dans un sac à main. Pour cela, nous proposons des flacons de recharge en aluminium, faciles à transporter et qui ont fait leurs preuves. Ils peuvent être recyclés à volonté.
Votre concept d’emballage vous limite-t-il en termes de formulation et de durée de conservation ?
Alice : Comme la cire et le liège ne permettent pas une fermeture hermétique, nos produits ne peuvent pas contenir d’eau. C’est la plus grande différence avec les emballages traditionnels.
Jennifer : Les formules cosmétiques contenant de l’eau peuvent rapidement moisir si elles sont exposées à l’air. Cela signifie que nous ne pouvons pas produire de crèmes et de toners pour le moment. Mais nous sommes à la recherche de solutions. Au lieu de conservateurs chimiques, nous utilisons des conservateurs naturels tels que l’huile de jojoba et la vitamine E, qui contribuent à prolonger la durée de conservation d’autres ingrédients moins stables. Si le produit est bien stocké (dans un endroit frais et sec, à l’abri des rayons du soleil), le liège n’a aucune influence sur le contenu. Nous recommandons d’utiliser nos produits dans un délai standard d’un an, mais ils durent souvent bien plus longtemps s’ils sont stockés correctement.
Où fabriquez-vous vos produits ?
Alice : Nous avons des studios à New York et dans le New Jersey, où 90 % de nos produits sont conçus et fabriqués. Nous travaillons également avec des herboristes et des fermes de tout le pays pour fabriquer certains de nos produits pour la peau et de nos parfums, que nous envoyons ensuite dans nos installations pour être conditionnés.
De quoi êtes-vous le plus fières ?
Jennifer : De ne jamais avoir trahi notre mission première de mieux traiter notre planète durant toutes ces années et de ne jamais avoir cédé, même si cela nous aurait permis d’avoir plus d’argent dans les poches.
Photo d’en-tête : Kindred Black
Natalie Hemengül
Senior Editor
Natalie.Hemenguel@digitecgalaxus.chEn tant que fan de Disney je vois toujours la vie en rose, je vénère les séries des années 90 et les sirènes font partie de ma religion. Quand je ne danse pas sous une pluie de paillettes, on me trouve à des soirées pyjama ou devant ma coiffeuse. PS Le lard est un de mes aliments favoris.