Entretien avec un expert : les super-chaussures nous rendent rapides, mais attention aux blessures
En coulisse

Entretien avec un expert : les super-chaussures nous rendent rapides, mais attention aux blessures

Des super-chaussures qui nous font atteindre de super-temps... vraiment ? Oui, vraiment. Les marathoniens professionnels ont amélioré leurs résultats depuis le lancement des fameuses chaussures amorties et munies de plaques de carbone. Steffen Willwacher est professeur de biomécanique. Il nous explique comment intégrer ces chaussures de course haut de gamme à nos entraînements et à nos compétitions, lorsque c’est possible.

Les super-chaussures, ces modèles dotés de plaques de carbone et d’un amorti épais, sont devenues très populaires. Autrefois réservées à l’élite internationale, elles ont gagné le cœur des coureurs amateurs. Elles sont censées nous rendre plus rapides et plus efficaces. Qui n’a pas envie de se sentir pousser des ailes ?

Beaucoup d’informations circulent sur ces modèles. Départageons le vrai du faux. Pour ce faire, j’ai rencontré Steffen Willwacher (en allemand), professeur de biomécanique et ancien décathlonien, au Zurich Forum for Applied Sport Sciences (en allemand), organisé par Swissbiomechanics (en allemand).

Depuis leur mise sur le marché il y a huit ans, les super-chaussures (ces chaussures dotées de semelles intermédiaires spécialement amorties et de plaques de carbone) se sont vite répandues dans le monde de la course à pied professionnelle. Ces dernières années, les amateurs se les sont aussi appropriées. Est-ce une bonne idée ?

Steffen Willwacher : Cette nouvelle technologie est là pour nous faire gagner en rapidité et nous rendre plus performants, tout en nous divertissant et en nous motivant. Ce sont évidemment de beaux objectifs. Selon le contexte, porter des chaussures qui nous font courir plus vite a clairement ses avantages.

Cette question est plus complexe qu’il n’y paraît. À quoi les coureurs doivent-ils faire attention lorsqu’ils décident d’abandonner leurs anciennes paires ?

La manière dont ces nouveaux modèles sont fabriqués et les forces exercées sur le corps ne sont pas les mêmes. Par exemple, certains os du pied sont sollicités différemment. Les tendons (comme le tendon d’Achille) et certains muscles travaillent bien plus qu’avec des baskets classiques. Si vous passez directement aux super-chaussures sans vous accorder une période d’adaptation, vous risquez de vous blesser.

Steffen Willwacher, expert en course, s’intéresse depuis des années aux super-chaussures. Il présente son travail de recherche au ZFASS de Zurich.
Steffen Willwacher, expert en course, s’intéresse depuis des années aux super-chaussures. Il présente son travail de recherche au ZFASS de Zurich.
Source : Siri Schubert

Quelles sont les blessures les plus fréquentes ?

Pour l’instant, nous ne disposons que de comptes rendus d’expérience. Les os du pied, et surtout le scaphoïde, un os du tarse situé du côté du gros orteil, semblent les plus touchés. D’après les signalements, le tendon d’Achille, les muscles de la hanche et ceux de l’arrière de la cuisse ne sont pas non plus épargnés. La localisation des lésions dépend bien sûr du type de coureur et du style de course. Il vaut mieux éviter de faire des généralités.

Comment les prévenir ?

Si vous souhaitez opter pour des super-chaussures sur le long terme, allez-y doucement et augmentez progressivement l’intensité de vos entraînements, tout en écoutant votre corps. Commencez par quelques promenades pour vous habituer à la répartition différente des charges. Passez ensuite à une petite course, tout en gardant vos anciennes chaussures au pied pour le reste de vos entraînements. Dans l’idéal, vous alternez déjà entre plusieurs paires. Augmentez petit à petit la durée et l’intensité des entraînements en super-chaussures. Le temps d’adaptation va de plusieurs semaines à plusieurs mois. Comptez six mois pour être vraiment bien habitué. Prenez votre temps si vous souhaitez révolutionner votre programme d’entraînement.

Si j’ai bien compris, réserver ses super-chaussures aux compétitions est une mauvaise idée.

Pas forcément. Il faut bien entendu s’habituer aux nouvelles baskets, mais si vous décidez de ne pas les porter autrement, une période de réadaptation et d’adaptation complète n’est pas nécessaire. De premières études montrent qu’il est possible de bien tirer profit de leur potentiel pendant les courses sans les avoir portées souvent.

En quoi consiste une courte période d’adaptation ?

Chaque personne est différente. Faites un test. Certaines zones de vos pieds, de vos mollets ou de vos genoux vous feront peut-être un peu plus mal que d’habitude. Si c’est le cas, respectez votre corps et évitez de courir un semi-marathon. Si, au contraire, elles ne vous posent aucun problème, vous pourriez les utiliser de manière très ciblée.

Les chaussures deviendraient en quelque sorte une arme secrète.

Oui, car elles apportent un gain de temps éprouvé allant jusqu’à 4 %. Elles durent aussi plus longtemps que d’autres modèles. En revanche, elles perdent vite leur amorti. Les coureurs d’élite portent une paire spécifique pendant un marathon, avant de les mettre au placard. Vu leur prix (plusieurs centaines de francs ou d’euros la paire), cette méthode n’est pas réaliste pour la plupart des amateurs.

Pour ou contre les super-chaussures ? Les résultats sont très individuels.
Pour ou contre les super-chaussures ? Les résultats sont très individuels.
Source : Shutterstock

En sport d’élite, les super-chaussures ont un avantage clair : elles permettent de courir plus vite. Tous les coureurs peuvent-ils en profiter de la même manière ?

Nous avons observé un effet net chez les coureurs professionnels : les temps des marathons et semi-marathons sont de plus en plus courts depuis que Nike a lancé ses super-chaussures en 2016. Les avantages augmentent avec la rapidité, et les femmes semblent en profiter davantage. Chez les amateurs, les résultats sont variables. Certains améliorent leurs temps alors que d’autres ne voient pas une grande amélioration. Ils ralentissent même parfois.

Comment explique-t-on ces améliorations ?

Les effets d’amorti et de renforcement de la plaque de carbone améliorent la performance de course. En langage commun, on dit que ces modèles ont un « meilleur amorti ». Celui-ci réduit le coût métabolique, c’est-à-dire l’énergie que nous devons dépenser pour parcourir une certaine distance. Je dis parfois pour plaisanter que les super-chaussures ne sont pas faites pour les personnes qui courent pour perdre du poids, car elles brûlent moins de calories sur la même distance.

Tout le monde n’a pas les mêmes objectifs. Ceux qui cherchent à se mettre en forme choisiront d’autres chaussures que les athlètes ambitieux qui souhaitent améliorer leur meilleur temps, voire qui visent une carrière professionnelle.

Si vous voulez courir plus vite, les super-chaussures vous motiveront. Courir davantage et avoir un objectif améliore aussi la condition physique. Par contre, si vous faites un petit footing deux fois par semaine, vous voudrez surtout vous sentir bien dans vos baskets et éviter de vous blesser. Dans ce cas, les super-chaussures, ou l’Advanced Footwear Technology, comme on l’appelle dans le milieu, ne sont pas faites pour vous.

Merci beaucoup pour cette discussion intéressante et cette incursion dans les nouvelles technologies appliquées aux chaussures de course.

Photo d’en-tête : Shutterstock

Cet article plaît à 22 personne(s)


User Avatar
User Avatar

Plongeuse scientifique, instructrice de SUP, guide de montagne... même si les lacs, les rivières et les mers sont mes terrains de jeu favoris, je ne me laisse pas porter par le courant, car j'ai encore beaucoup à apprendre et à découvrir. J'aime aussi prendre de la hauteur et changer de perspective en volant avec des drones et en faisant du trail. 


Ces articles pourraient aussi vous intéresser

Commentaire(s)

Avatar