Critique
Critique de film : « Shang-Chi » apporte un vent de fraîcheur à Marvel
par Luca Fontana
Ce film de la réalisatrice oscarisée Chloe Zhao aurait pu devenir l’événement cinématographique de l’année pour Marvel. Malheureusement, ça ne l’est pas. « Les Éternels » est une expérience nulle et ratée.
Avant toute chose, cette critique de film ne contient aucun spoiler. Vous n’y trouverez que des informations déjà présentes dans la bande-annonce.
Si le film Les Éternels n’avait pas été repoussé d’une année en raison de la pandémie, la réalisatrice Chloe Zhao n’aurait pas pu terminer Nomadland et n’aurait donc pas reçu l’Oscar de la « meilleure réalisatrice » au début de cette année. Il s’agit peut-être d’une coïncidence, mais cela représente une aubaine pour le département marketing de Marvel.
En effet, le chef de Marvel et la tête pensante de MCU Kevin Feige ne rate pas l’occasion de faire un gros coup de pub avec sa réalisatrice nouvellement oscarisée. Des mots tels que « spectaculaire » se font entendre. En plaisantant, il annonce même l’Oscar pour Les Éternels.
Les attentes sont aussi immenses que la déception qui suit. Non pas parce que le film ne s’est pas révélé un chef-d’œuvre susceptible de gagner un Oscar, pire :
parce que film Les Éternels est tout simplement ennuyeux.
Avant les six singularités, les pierres d’Infinité, l’univers était sombre et vide. Vinrent ensuite les Célestes divins menés par Arishem. Du rien, ils créèrent l’énergie et la matière, les étoiles et les planètes, les systèmes solaires et les galaxies, et la vie elle-même.
Les Célestes étaient fiers de leur œuvre, jusqu’à ce qu’apparaissent les Déviants menaçant de détruire leur création. Les Célestes ont donc donné vie à de nouvelles créatures : les Éternels. Dotés d’un pouvoir incroyable, ces êtres ont été envoyés dans les quatre coins de l’univers pour mettre fin à la menace.
Dix Éternels ont aussi été envoyés sur terre. Durant des millénaires, ils protégèrent la vie contre les Déviants, mais uniquement contre ces derniers, comme le prescrivait l’ordre divin. Lorsque la menace semblait avoir été écartée, le groupe s’est dissous et, durant des centaines d’années, l’humanité resta livrée à elle-même. Ensuite vint le Blip qui ramena la moitié de la vie qu’on avait cru perdue dans l’univers. Cependant, les énergies cosmiques attirèrent une nouvelle fois les Déviants sur terre.
Le temps est donc venu pour les Éternels de sortir de l’ombre.
Je dois reconnaître que la réalisatrice et coscénariste Chloe Zhao a fait un effort visible pour échapper à la formule Marvel devenue beaucoup trop étroite qui consiste à prendre la structure classique de trois actes, beaucoup d’humour, presque pas de profondeur et à ajouter une grosse bataille en images de synthèse au dernier acte. Ensuite, on passe le générique de fin avant une ou deux scènes post-crédits qui donnent plus de matière à discussion que tout le film en soi. Voilà comment on garde les fans en haleine.
En bref, le film popcorn parfait.
Les raisons de ce succès de plus de dix ans sont nombreuses. Un casting parfait, par exemple, mais aussi le fait que Kevin Feige parvient à gagner des réalisateurs avec un style et une voix singulière. Et, la plupart du temps, sans expérience de films à grand budget. Ainsi, les films Marvel ont un air familier tout en étant rafraîchissants. Une recette à succès particulièrement lucrative qui s’est perfectionnée au fil des ans.
Il y a eu par exemple le réalisateur James Gunn, connu pour son humour morbide, mais idéal pour un film tel que Les Gardiens de la Galaxie qui jongle avec de nombreux personnages. Ou encore Taika Waititi qui préférait laisser ses acteurs improviser des scènes entières dans Thor : Ragnarok plutôt que de les obliger à suivre le scénario à la lettre. Et, pour finir, mentionnons le réalisateur américano-japonais Destin Daniel Cretton qui a pu intégrer des combats à la Jackie Chan dans l’univers Marvel.
Chloe Zhao était donc la réalisatrice parfaite pour le film suivant. Elle ne connaît pas les grands budgets. Elle se trouve rarement sur des plateaux de tournage ou devant des écrans verts. En effet, Zhao préfère travailler directement sur place, dans de vrais lieux avec une équipe réduite. Cela fait partie de son style. Les films de cette réalisatrice ont souvent un côté documentaire, réel. Certains parlent respectueusement d’euphémisme poétique.
Dans le film primé aux oscars Nomadland, la réalisatrice accompagne l’actrice Frances McDormand à travers les prairies du Nebraska dans son road movie de semi-fiction. L’histoire dresse le portrait intime d’une femme qui tente de vivre une vie de nomade moderne en dehors des coutumes conventionnelles et de la société occidentale. Kevin Feige, et il le répète souvent, aime ce regard intime que Chloe Zhao porte sur les choses.
On retrouve dans Les Éternels le style naturaliste de la réalisatrice, qui a rendu Nomadland digne d’une salle de cinéma. Cela éloigne le film de la grandiloquence habituelle des autres films de Marvel visuellement époustouflants.
Seulement... Le naturalisme de Zhao se révèle être un mauvais choix pour le projet de film Les Éternels.
Lorsque Kevin Feige a présenté le premier matériel de démonstration du travail de caméra de Zhao aux patrons de Disney, il aurait déclaré : « Cela vient directement de la caméra, il n’y a aucun travail d’effets visuels. » On raconte que sur cette séquence apparaît une plage, un magnifique coucher de soleil, des vagues parfaites, du brouillard et de l’écume embrassant les falaises majestueuses.
Il va sans dire qu’il y a quelques beaux plans dans le film, mais Les Éternels est en général plutôt pâle et dépouillé. Cet aspect-là me gêne particulièrement, car je connais la bande dessinée. Les Éternels sont issus de l’imagination souvent délicieusement exubérante de l’icône Marvel Jack Kirby. Chez lui, les menaces cosmiques se trouvent toujours au centre. Des dieux contre des destructeurs de mondes, des multivers et des mondes parallèles. Tout cela est raconté dans des cacophonies d’images aux couleurs vives qui pourraient très bien être issues d’un trip au LSD.
Vous souvenez-vous de la scène « open your eyes » dans Dr. Strange ? C’est du Jack Kirby tout craché, tout comme les Éternels dans les bandes dessinées.
Le film Les Éternels n’est rien de tout ça et c’est un problème, car Marvel veut nous vendre avec ce film, un film aux proportions cosmiques. Visuellement, en revanche, il n’est pas à la hauteur. Et ce, non pas parce que de vrais lieux ne sont pas assez spectaculaires – Peter Jackson rend bien hommage à la Nouvelle-Zélande avec Le Seigneur des Anneaux – mais plutôt parce que les lieux choisis sont tout simplement nuls.
La plupart du temps, on voit les Éternels dans de grands paysages rocheux, des déserts arides, des prairies désolées, sur des plages grises ou au milieu d’une jungle incroyablement terne. Le tout donne un effet réel, justement parce que ce n’est pas fait par ordinateur. Le style de Zhao par excellence. C’est ainsi que la réalisatrice se sent bien, mais rien dans le film n’est épique. Et rien n’est fidèle à l’original non plus. Peu importe que les personnages portent parfois des costumes colorés ou qu’ils parlent de la plus grande menace que l’humanité ait jamais eu à affronter. Et surtout lorsque l’histoire semble se dérouler dans les endroits les plus inintéressants de la planète.
Cela dit, ce n’est de loin pas le seul problème.
Venons-en à l’histoire. Si Les Éternels était juste visuellement dénué de couleurs, ça irait encore. Cela dit, quand l’histoire que Chloe Zhao a coécrite est tout aussi nulle, le film fonce droit dans le mur.
Il est vrai qu’introduire dix nouveaux personnages n’est pas du gâteau. Le concurrent de Marvel, DC, a introduit moins de personnages que ça dans deux films, à savoir dans Batman v Superman de Zack Snyder et Justice League de Joss Whedon, et a tout de même échoué. Zhao essaie de le faire en envoyant ses deux personnages principaux, Sersi (Gemma Chan) et Ikaris (Richard Madden), faire un roadtrip durant presque la totalité du film. D’ailleurs, elle s’y connaît déjà en roadtrips depuis Nomadland. Voici comment ça se passe :
« Hé, M. ou Mme Éternel, il y a une nouvelle menace. Nous devons de nouveau nous rassembler. Venez avec nous ! »
« Oh, mince, d’accord. »
Changement de scène. Prochain lieu désolé, prochain Éternel. Bref.
Bien entendu, chacun des Éternels réagit différemment face au danger imminent. Certains le prennent de manière plus détendue, d’autres sont choqués et d’autres encore gardent une vieille rancune. Ce roadtrip doit nous donner à nous spectateurs une caractérisation approximative des personnages. Ah d’accord, donc lui c’est le rigolo, voilà monsieur l’angoissé, et là c’est le con de l’histoire. Continuons avec le personnage LGBTIQ+ – bravo Marvel, très progressiste.
Pour trois ou quatre personnages, cette manière de les introduire ne pose pas de problème. Cela dit, au plus tard au septième, huitième ou neuvième personnage, on commence à se lasser et à regarder l’heure. Deux heures se sont écoulées et l’histoire n’a quasiment pas progressé depuis le début du film. Il ne s’agit pas du suspens à la Dune de Denis Villeneuve.
C’est nul.
Ensuite, c’est la fin. Sans spoiler, après deux heures et 37 minutes, je me rends compte que pour un film si long sur des créatures cosmiques et divines, étonnamment peu de choses se sont passées.
Il existe toutefois quelques lueurs d’espoir qui fonctionnent dans Les Éternels : lorsqu’il y a une pause dans le roadtrip interminable et que le scénario de Zhao raconte dans des flash-backs – trop courts et trop peu nombreux – ce que les Éternels ont fait et vécu durant les 7000 ans passés sur terre.
Peut-être qu’il s’agit là du film que j’aurais voulu voir.
Dans ces flash-backs, les Éternels sont ensemble et les dynamiques et les motifs sont palpables. Des conflits font surface et le plan divin des Célestes est remis en question. Est-ce moralement juste de laisser les humains se débrouiller dans leurs conflits souvent autodestructeurs alors que les Éternels pourraient les résoudre d’un mouvement de la main et ramener l’harmonie ?
Des clans se créent entre ceux qui ont juré obéissance aux Célestes et ceux qui exigent l’obéissance des autres Éternels. C’est génial et c’est raconté de manière beaucoup plus colorée que le roadtrip dans son ensemble. Dans ces moments-là, je sens un film. Une intrigue se prépare et je suis même un peu ému. Zhao, tu en étais donc capable...
Et là, grosse déception, le roadtrip continue. Passons aux rabat-joie qui rejoignent le groupe, mais qui ne savent pas s’ils interviendront vraiment ou pas. Les Éternels se retiennent non seulement eux-mêmes, mais aussi l’intrigue. Et ce, encore et encore.
Le film Les Éternels a plusieurs problèmes. Tout d’abord, le manque d’atmosphère. Les naturalistes seront ravis du style de la réalisatrice, et ce, probablement à juste tire. En revanche, moi, en tant que fan de Marvel, je m’attends à un peu plus de fidélité par rapport à l’original dans un film Marvel. Les Éternels n’est pas un film à la Nomadland.
Aux images ennuyeuses s’ajoute encore l’histoire ennuyeuse, car elle se répète et n’accélère jamais. Et comme si cela ne suffisait pas, dix nouveaux personnages principaux sont ajoutés, en plus des personnages secondaires, que je ne comprends pas vraiment en tant que spectateur jusqu’à la fin. Qui m’est le plus sympathique ? Quel personnage est-ce que je n’aime pas ? Qui me laisse indifférent ?
Ce qu’il reste est un film qui tombe à plat. Dommage. Précisément maintenant où les séries Marvel comme WandaVision ou Loki ouvrent la porte pour des mindfucks multiversels, Les Éternels se dirige vers cette porte ouverte et fait exactement ce que les personnages du film font la plupart du temps : rien.
« Les Éternels » est disponible dans les salles de cinéma à partir du 4 novembre. Durée du film : 157 minutes.
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»