La pilule magique qui remplace le sport
En coulisse

La pilule magique qui remplace le sport

Claudio Viecelli
7/3/2023
Traduction: Martin Grande

Le sport, c’est la santé. Les effets positifs sur notre métabolisme sont bien connus. Une pilule capable de remplacer le sport serait sûrement un des produits les plus vendus au monde. À ce jour, elle n’existe pas. Néanmoins, tout espoir n’est pas perdu. Une équipe de recherche japonaise vient de réaliser une avancée prometteuse.

Le mode de vie moderne et les progrès technologiques ont libéré la plupart d’entre nous des travaux physiques pénibles. L’activité physique est pourtant essentielle à notre santé musculosquelettique. Le manque d’activité physique entraîne une perte de masse musculaire et de force. La densité osseuse diminue, ce qui peut conduire à l’ostéoporose. De plus, le risque de maladies cardiovasculaires, d’accidents vasculaires cérébraux et de diabète s’en voit accru. Par conséquent, le manque d’activité physique représente un facteur de risque important de décès prématuré. Les charges socio-économiques des traitements de ces maladies sur notre système de santé sont énormes. Dans son rapport de 2022 sur l’activité physique, l’OMS estime que le manque d’activité physique coûte 27 milliards de dollars par an dans le monde. Pour 2030, on prévoit un coût mondial de 300 milliards de dollars [5]. Le diabète à lui seul a engendré des coûts de 4,9 milliards de dollars en Suisse en 2021 [6]. Le sport est donc une thérapie efficace et très rentable, tant pour la santé personnelle que pour le système de santé publique. Malheureusement, tout le monde n’y a pas accès. Chez la patientèle atteinte de démence ou chez les personnes qui sont déjà alitées, les soins médicamenteux sont parfois la seule solution. C’est justement ce qui a poussé une équipe de recherche japonaise à développer un traitement qui imite les effets du sport [7].

La quête d’une intervention thérapeutique appropriée

Le sport renforce la musculature et les os. Les cellules musculaires et osseuses se multiplient. Pour trouver une approche thérapeutique, les scientifiques ont mis au point un système pour observer et quantifier les modifications des cellules dans les muscles et les os. L’étude a permis d’identifier huit composés chimiques qui favorisent la croissance, parmi les 296 présents dans les cellules musculaires. Au cours des tests effectués, le composé 17b, dérivé de l’aminoindazole, a particulièrement bien fonctionné et a contribué à la production en grande quantité de certaines protéines essentielles à la croissance des muscles. Ensuite, l’étude s’est concentrée sur ces huit composés pour leurs effets sur les cellules osseuses. Là encore, le composé 17b présentait le plus fort potentiel pour favoriser la formation de cellules osseuses. Dans l’étape suivante, les scientifiques ont testé les huit mêmes candidats pour déterminer leur impact sur la résorption osseuse. Là encore, le 17b a été le meilleur pour limiter la résorption osseuse. Le composé 17b favorise donc la croissance des cellules musculaires et osseuses tout en inhibant la résorption osseuse. Les scientifiques ont nommé ce composé locamidazole (LAMZ). Ce nom est composé des mots « locomotor » (mouvement) et « aminoindazole » (composant chimique).

In vitro et in vivo

Après les tests en boîte de pétri, l’équipe de recherche a voulu tester l’efficacité du LAMZ dans un organisme vivant. Ils ont administré du LAMZ à des souris une fois par jour pendant 14 jours. Cette administration de LAMZ n’a eu aucun effet sur le poids corporel des souris. Aucun effet secondaire n’a été constaté. Le médicament a été détecté dans le sang, les muscles et les os à la fin de l’expérience. Les muscles des souris traitées étaient plus gros que ceux du groupe témoin. Aucun signe de lésion des tendons ou des muscles n’a été observé. Aucune lésion du cartilage n’a non plus été observée. Les souris LAMZ ont montré moins de signes de fatigue sur le tapis roulant par rapport aux animaux témoins. Les scientifiques ont ensuite voulu savoir si le LAMZ se prêtait également à une approche thérapeutique de la mobilité réduite. Cela a été testé à nouveau dans un modèle animal sur des souris qui flottaient légèrement en l’air avec leurs pattes arrière et ne pouvaient donc pas utiliser ces muscles pendant une période prolongée, ce qui entraîne une atrophie musculaire et une dégradation osseuse. Le résultat du traitement LAMZ a aussi été probant sur ces souris.

Comment ça fonctionne, biologiquement ?

Les scientifiques ont examiné quels gènes étaient les plus actifs dans les cellules traitées avec le LAMZ afin de comprendre le mode d’action du composé chimique. Dans les cellules traitées, les gènes importants pour les mitochondries étaient particulièrement actifs. En effet, le LAMZ a augmenté le nombre de mitochondries dans les cellules musculaires et osseuses. Le sport, et surtout le sport d’endurance, favorise l’activation d’une protéine appelée PGC-1α. Celle-ci est considérée comme un élément clé des systèmes de signaux internes aux cellules, qui sont activés dans le muscle par l’entraînement d’endurance [8] et qui favorisent la formation de mitochondries. Pour savoir si le LAMZ activait efficacement la PGC-1α, l’équipe a inhibé cette dernière dans des cellules musculaires et osseuses. En conséquence, le LAMZ est devenu pratiquement inefficace. In vitro et in vivo. Le sport, et en particulier le sport d’endurance, active la PGC-1α. Comme le LAMZ active également la PGC-1α, il a un comportement similaire au sport. Le LAMZ a été testé avec succès sur des modèles animaux et in vitro sur des cellules humaines. Comme elle fonctionne également sur les cellules humaines, elle représente une approche thérapeutique prometteuse pour renforcer les muscles et les os. Toutefois, avant que le LAMZ ou un dérivé ne soient mis sur le marché, des études cliniques sont encore nécessaires pour examiner les éventuels effets secondaires et les conséquences à long terme chez l’humain.

En attendant, j’encourage tout le monde à faire du sport. Car le sport, pratiqué régulièrement et raisonnablement, est la meilleure des thérapies.

Références

  1. Westcott WL. Resistance training is medicine : Effects of strength training on health. Curr Sports Med Rep. 2012;11 : 209-216. doi:10.1249/JSR.0b013e31825dabb8v
  2. Pedersen BK, Saltin B. Exercise as medicine - Evidence for prescribing exercise as therapy in 26 different chronic diseases Scand J Med Sci Sport. 2015;25 : 1-72. doi:10.1111/sms.12581
  3. Warburton DER, Nicol CW, Bredin SSD. Health benefits of physical activity: the evidence. C Can Med Assoc J. Association médicale canadienne ; 2006;174 : 801. doi:10.1503/CMAJ.051351
  4. Abou Sawan S, Nunes EA, Lim C, McKendry J, Phillips SM. The Health Benefits of Resistance Exercise : Beyond Hypertrophy and Big Weights. Exerc Sport Mov. 2023;1. doi:10.1249/ESM.0000000000000001
  5. Organisation mondiale de la santé. Global status report on physical activity 2022 [Internet]. WHO Press, World Health Organization. 2022. disponible : https://www.who.int/teams/health-promotion/physical-activity/global-status-report-on-physical-activity-2022
  6. Switzerland diabetes report 2000 - 2045 [Internet]. [cited 8 Jan 2023]. Disponible : https://diabetesatlas.org/data/en/country/192/ch.html
  7. Ono T, Denda R, Tsukahara Y, Nakamura T, Okamoto K, Takayanagi H, et al. Simultaneous augmentation of muscle and bone by locomimetism through calcium-PGC-1α signaling. Bone Res 2022 101. Nature Publishing Group ; 2022;10 : 1-14. doi:10.1038/s41413-022-00225-w
  8. Chan MC, Arany Z. The many roles of PGC-1α in muscle - Recent developments. Metabolism : Clinical and Experimental. W.B. Saunders ; 2014. pp. 441-451. doi:10.1016/j.metabol.2014.01.006
Photo d’en-tête : Shutterstock

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Biologiste moléculaire et musculaire. Chercheur à l'ETH Zurich. Athlète de force.


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