La réaction de vos cellules face à la musculation et à l’endurance
En coulisse

La réaction de vos cellules face à la musculation et à l’endurance

Claudio Viecelli
15/2/2024
Traduction: Anne Chapuis

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi, quand on fait de la musculation, on gagne de la masse musculaire et quand on fait de l’endurance, on ne prend pas des muscles, mais on devient plus endurant ? Je vous explique pourquoi.

Lorsque vous prenez un haltère et faites un biceps curl, votre corps le ressent au niveau moléculaire. L’haltère ou la résistance externe soumet vos cellules à une multitude de charges mécaniques comme les forces de cisaillement et de traction. En biologie cellulaire, ce processus s’appelle la mécanosensibilité (mechanosensing en anglais) [14]. Nos tissus et nos cellules sont connectés entre eux via différentes structures. On différencie les structures extracellulaires des structures intracellulaires.

L’environnement extracellulaire de nos cellules musculaires se compose en grande partie de collagène. Des protéines comme la laminine ou le perlécan, liées aux protéines musculaires internes via l’intégrine ou le dystroglycan, s’y lient. Paxiline, taline, vinculine, dystrophine, alpa-acitine : voici quelques noms de protéines internes. Si cela vous intéresse, je fais ici référence à Mavropalias et al., 2022 [15]. Si, comme mentionné ci-dessus, des forces externes agissent, elles sont transmises jusqu’au cœur de la cellule par des protéines structurelles et y déclenchent des signaux (cell signaling en anglais) par le biais de réactions biochimiques qui aboutissent dans le noyau de la cellule [16–18]. Des gènes y sont alors lus et les protéines correspondantes traduites. La cellule peut ainsi réagir à des facteurs de stress.

Tout type de développement de la force pour un mouvement ou lors d’un sport implique une consommation d’énergie et influence le métabolisme cellulaire. Dans les cellules, une perturbation des processus métaboliques ne passe pas inaperçue. Dans la cellule musculaire, les protéine-kinases activées par l’AMP (AMPK) détectent une augmentation de la dépense énergétique. Elles mesurent le rapport entre l’adénosine triphosphate (ATP) et l’alpha-diphosphate (ADP) ou l’alpha-monophosphate (AMP). L’ATP est la monnaie d’échange énergétique de nos cellules musculaires. Quand un groupe phosphate est divisé, de l’énergie se libère. C’est de cette énergie que les muscles ont besoin pour se contracter. La division d’un groupe phosphate entraîne une réduction du nombre de phosphates dans l’ATP. Ainsi, lors d’une division d’un groupe phosphate, l’ATP devient ADP et lors d’une division suivante, l’ADP devient AMP. Les AMPK reconnaissent donc le stress énergétique et coordonnent les processus d’augmentation ou de diminution dans la cellule [19].
Le stress énergétique stimule un chemin de signalisation, appelé « peroxisome proliferator activated receptor gamma coactivator-1α » (PGC-1α) en anglais, qui favorise la formation de mitochondries et de vaisseaux sanguins. Le stress mécanique stimule le chemin de signalisation via mTOR. C’est l’abréviation pour le terme anglais « mechanistic target of rapamycin ». Ce chemin de signalisation stimule les processus de croissance comme la croissance musculaire.

Adaptations à l’endurance et la musculation

Les entraînements d’endurance se caractérisent généralement par des phases à une intensité plus faible [20], qui permettent de maintenir l’entraînement sur une plus longue période. Les formes typiques d’exercices favorisant l’endurance sont la marche, la course, le cyclisme ou la natation. L’endurance représente un véritable défi pour le métabolisme, car elle perturbe les concentrations intracellulaires d’oxygène, de lactate, d’espèces réactives de l’oxygène, d’adénosine triphosphate et de calcium [21]. Contrairement à l’endurance, la musculation comprend de courtes phases de haute intensité voire d’intensité maximale [22]. La musculation met à l’épreuve l’intégrité mécanique [23,24] des tissus et l’équilibre métabolique des muscles [25,26]. L’application systématique de stress mécanique [27–29] et métabolique [30–32] au corps humain entraîne des adaptations sur le plan morphologique et neurologique [33]. Ces adaptations comprennent des changements au niveau de la taille [34,35] et de la structure [36] des cellules musculaires, de la croissance des myofibrilles et de la multiplication des mitochondries [37,38] ainsi que des profils métaboliques [39].

L’endurance ou la musculation entraînent donc des adaptations différentes. D’où les différences constatées dans l’activité contractile des muscles.

En 1997, Dolmetsch et al. [40] ont déjà montré que différents chemins de signalisation sont activés de manière sélective en fonction de l’intensité d’un signal. En 2005, Atherton et al. ont isolé des muscles de rats et les ont stimulés à une haute fréquence électrique pendant une courte période (6 x 10 répétitions d’une impulsion de trois secondes à 100 Hz), pour simuler un entraînement de musculation. Ils ont aussi utilisé une basse fréquence (3 heures à 10 Hz) pour simuler un entraînement d’endurance. La musculation a augmenté significativement la synthèse des protéines musculaires 3 heures après la stimulation par rapport à l’entraînement d’endurance d’un facteur de 5,3 (P < 0,05). L’entraînement d’endurance n’a pas augmenté significativement le taux de synthèse des protéines musculaires par rapport au groupe témoin. Cependant, il a augmenté de manière significative (P < 0,05) l’activité AMPK dans les cellules musculaires après 3 heures et après 6 heures par rapport à l’entraînement de musculation. Cela a entraîné une activation significative de PGC-1α juste après l’entraînement (P < 0,5). Des intensités différentes simulant l’endurance ou la musculation ont donc entraîné l’activation de différents chemins de signalisation qui semblent s’inhiber mutuellement.

Il est fascinant de voir la réaction sensible des cellules face au stress externe. Cela explique aussi pourquoi les adaptations sont toujours très spécifiques au stimulus d’entraînement correspondant. Si vous avez lu le texte jusqu’ici, je vous félicite.

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Références

Les sources 1 à 13 se réfèrent à l’encadré, les sources 14 à 40 au texte.

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  3. Hartman MA, Spudich JA. The myosin superfamily at a glance. J Cell Sci. 2012;125: 1627–1632. doi:10.1242/jcs.094300
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Biologiste moléculaire et musculaire. Chercheur à l'ETH Zurich. Athlète de force.


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