Critique
Critique de film : Le Dernier Duel de Ridley Scott
par Luca Fontana
Quand l’un des meilleurs acteurs de sa génération joue l’un des plus grands généraux de notre époque, cela ne peut faire que du grand cinéma. Surtout si Ridley Scott est derrière la caméra. Malheureusement, « Napoléon » n’a pas su se montrer à la hauteur de ces attentes.
Avant toute chose : cet article ne contient aucun spoiler. Vous n’y trouvez que des informations qui figurent dans les bandes-annonces officielles.
Napoléon divisera très certainement l’opinion, tout comme il divise déjà la mienne. L’opulence des films historiques à la Ridley Scott reste incontournable sur le plan technique, ce qui ne surprendra personne. C’est quand même à lui que l’on doit les chefs-d’œuvre comme Gladiator, Kingdom of Heaven ou The Last Duel (l’un de ses films les plus sous-cotés).
Mais en dehors de ses nombreuses fresques de batailles, Napoléon n’a guère de qualités. Ça, c’est surprenant. Surtout avec ce casting, dans lequel Joaquin Phoenix, récompensé par un Oscar, incarne Napoléon Bonaparte, empereur, rebelle, tyran et conquérant. Celui qui faisait pour ainsi dire office de garant n’arrive pas à se montrer convaincant dans son rôle. Mais ce n’est pas le seul problème.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Nous sommes en 1789, les Français se révoltent. Car si la monarchie vit dans l’opulence, le peuple souffre de la faim et de la pauvreté. Dernière reine de France, Marie-Antoinette est décapitée, et la monarchie française disparaît. Au milieu de tout cela, on retrouve un jeune et ambitieux capitaine d’artillerie : Napoléon Bonaparte.
Il montre rapidement à la toute nouvelle République française ses grandes capacités stratégiques et tactiques, notamment lors du siège de Toulon en 1793. Cette victoire permet à Napoléon de devenir général et le fait atterrir dans les bras de Joséphine de Beauharnais (Vanessa Kirby), personnalité bien établie dans les cercles influents de la société parisienne.
La suite, nous la connaissons tous.
Je vais être honnête, cette critique pourrait bientôt être obsolète. La faute aux studios Apple qui ont sorti le film au cinéma sous une forme raccourcie de « seulement » deux heures et demie afin de lui donner une chance aux Oscars. Après cela, Napoléon sera diffusé sur Apple TV+ dans sa version originale de quatre heures, comme l’a confirmé le réalisateur Ridley Scott début octobre.
Me voilà donc bien embarrassé. Dans sa version actuelle, je ne peux pas dire que le film soit réussi. Comme c’était déjà le cas pour Kingdom of Heaven, la version cinéma semble mal ficelée et pleine de lacunes (ce qui n’est pas le cas de la « director’s cut », qui n’est sortie dans un coûteux coffret DVD que plusieurs mois après la sortie en salle). Autrement dit, on reste vraiment sur notre faim (et fin).
Parlons par exemple du génie militaire de Napoléon. La plupart du temps, il se contente de regarder les batailles sans être impressionné, avec un regard étrangement vitreux et sans rien faire. Tout au plus fait-il signe d’une main tendue de commencer le bombardement au canon, avant de se boucher les oreilles. Mouais. C’est vraiment tout ce que le scénario nous donne ? Ou est-ce qu’il manque quelque chose que l’on retrouvera dans la version de quatre heures ?
Impossible de le savoir. Le film n’évoque l’habileté tactique de Napoléon que lorsque d’autres personnages parlent de lui. J’aurais préféré vraiment voir ses réflexions stratégiques. Par exemple, dans les scènes où il est penché sur une carte avec ses généraux dans sa tente de commandement, il concocte des tactiques que le « jeune garçon », comme Napoléon qualifiera plus tard le tsar de Russie, « ne fait que copier, sans les comprendre ». De quelles tactiques s’agit-il ? Quelles sont les erreurs du tsar ? Comment le général français exploite-t-il les erreurs des autres ? Tant de questions qui restent sans réponses. Sans parler du manque de structures des scènes de batailles où règne le chaos. Ce n’est pas un mal en soi, car le côté brut apporte une certaine crédibilité. Mais j’aurais bien aimé voir la partie réfléchie qui aurait pu contraster avec la mort et la folie ambiantes, et souligner la supériorité intellectuelle de Napoléon.
Que les choses soient claires, la mise en scène de Scott est parfaite pour le grand écran. Notamment parce qu’il utilise si peu d’effets spéciaux et qu’il préfère peindre des images à couper le souffle avec des centaines de figurants et de l’action réelle comme on n’en voit plus que rarement. C’est surtout impressionnant pendant les deux batailles les plus emblématiques de Napoléon : celles d’Austerlitz, sous la glace, et de Waterloo, sous la pluie. Elles font partie des scènes de cinéma les plus belles et les plus cruelles depuis celles du débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, ou de la bataille de Maximus contre les barbares dans Gladiator, pour rester chez Ridley Scott.
Mais en dehors de ces magnifiques tableaux de batailles, Napoléon n’a pas grand-chose à offrir. Même si, comme pour Kingdom of Heaven, la « director’s cut » viendra combler certaines lacunes. Mais en attendant, je dois me contenter d’évaluer ce qu’Apple a bien voulu sortir pour le cinéma. Et force est de constater qu’avec Joaquin Phoenix, la mayonnaise ne prend pas. J’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une erreur de casting, même si je ne remets pas en question le talent de Joaquin Phoenix, qui est l’un des meilleurs acteurs de sa génération.
Mais l’autre gros problème du film est l’alchimie quasi inexistante entre le Napoléon de Joaquin Phoenix et la future impératrice Joséphine de Vanessa Kirby. Et comme tout le film repose dessus, autant dire que le résultat final en pâtit. Ridley Scott a en effet fait de son film une alternance entre les batailles de Napoléon et son mariage avec Joséphine. Un mariage à la fois destructeur et toxique, et dans lequel les époux sont en codépendance affective.
On ne nous explique jamais pourquoi. Il n’y a jamais de beaux moments, même rares, qui montreraient pourquoi les deux ne peuvent absolument pas se passer l’un de l’autre. À un moment, une servante demande même à Joséphine si elle trouve Napoléon attirant. Je me suis posé la même question. Malgré tout, ils s’aiment. D’un amour intense et passionné, à en croire leurs lettres, même si, lorsqu’ils se voient, ils ne font que s’insulter et se disputer. Et lors de leurs ébats, on retrouve une Joséphine au visage complètement impassible en train de se faire prendre par-derrière par un Napoléon qui y met l’énergie d’un lapin, le tout sans une once d’érotisme.
Le film ne parvient pas à nous faire croire que ces deux-là ne sauraient vivre l’un sans l’autre. Si au moins l’alchimie entre les deux acteurs arrivait à me vendre le contraire, j’aurais pu me laisser convaincre. Mais dans leurs scènes, Phoenix et Kirby n’ont pas l’air de se faire plus d’effet que s’ils se disaient simplement « bonjour » et « au revoir ». Cela déteint sur leur performance. Et ça se voit notamment lorsque Napoléon se glisse sous une table pour s’attaquer à la jupe de Joséphine en grognant comme un porc. Quel petit cochon, ce Napoléon. Joséphine sourit et laisse faire. Le moment est censé être à la fois doux et pervers. Cinq secondes plus tôt, le conquérant reprochait encore à son impératrice de ne pas lui donner d’héritier. Que dire...
De tels faux pas en matière de tonalité sont légion dans ce scénario. Ou chez Joaquin Phoenix. À vrai dire, je ne sais pas qui est le coupable. Si dans certaines scènes, Phoenix joue comme l’acteur récompensé aux Oscars pour son rôle du « Joker », dans d’autres, son Napoléon ressemble à une caricature tout droit sortie du Saturday Night Live. Phoenix a beau être génial dans la bande-annonce, je ne pense pas qu’il constituait le bon choix pour ce film.
Napoléon ne sera pas le prochain grand film historique de Ridley Scott, aujourd’hui âgé de 85 ans. La faute, peut-être, à la version cinéma tronquée. Certainement, même, si je prends Kingdom of Heaven comme référence. Plus actuel que jamais, ce film sur les croisades autour de l’éternel foyer de conflit qu’est Jérusalem reste l’un des plus grands chefs-d’œuvre du grand écran. Napoléon pourrait connaître un sort similaire.
Du moins, je l’espère.
Je vais être très honnête, cette version cinéma du film est pour moi LA grande déception cinématographique de l’année. Le modèle historique, le casting et le réalisateur sont trop bons pour ne pas susciter de grandes attentes, auxquelles le film n’aura finalement pas su se montrer à la hauteur.
Certes, c’est un film qui reste agréable d’un point de vue visuel. Mais en dehors de la mise en scène grandiose de ses batailles, Napoléon n’est qu’un film qui nous dit que le général français était un homme animé d’une folle envie de mener son pays au succès, sans jamais nous expliquer pourquoi. Au lieu de cela, il fait d’un mariage mis en scène de manière ridiculement peu crédible le cœur émotionnel du film et oscille entre biographie et caricature de Napoléon.
Si ce gâchis peut encore être sauvé d’une manière ou d’une autre, ce sera par une version « director’s cut » de Ridley Scott.
« Napoléon » est en salles depuis le 23 novembre 2023. Durée : 158 minutes. Interdit aux moins de 12 ans.
Photo d’en-tête : Apple / Sony PicturesVivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»