Pourquoi les verres à boire ne se recyclent pas avec le verre ?
22/2/2022
Traduction: Stéphanie Klebetsanis
Bouteilles de bière, pots de confiture, flacons de parfum : en Suisse, plus de 90 % des contenants en verre sont recyclés. Les verres à vin, en revanche, doivent être jetés aux ordures, selon les cantons. Pourquoi au fait ? Pour deux raisons : le plomb et l'argent.
Un mardi d’automne ensoleillé, en milieu de journée. En allant faire les courses, je m’arrête aux containers à verre pour me débarrasser de mes bouteilles de bière et de limonade, et aussi des morceaux d’un verre que j’ai cassé. Comme il est transparent, il va dans la poubelle « verre blanc ».
Du moins, c'est ce que je pensais jusqu’à ce que Vetroswiss, la société qui collecte la taxe d’élimination et fournit des informations sur le recyclage du verre, lance une série d’affiches. J’ai ainsi pu voir cette affiche dans la rue près de chez moi :
Les mots « Oui, bien sûr, elle est en céramique » étaient tracés au feutre noir au-dessous la tasse, mais au-dessus du verre cassé, on pouvait lire : « Ah bon, il ne se recycle pas avec le verre ? ». C’était justement la question que je me posais... À Zurich, je n’ai donc pas intérêt à jeter les verres à boire dans le container à verre. Je dois les mettre à la poubelle.
Mais pourquoi ?
Les verres à boire contiennent du plomb
Je commence par m’adresser à Vetroswiss. Lukas Schenk m’explique que les différents types de verre n’ont pas le même point de fusion ni la même composition chimique. Les verres à boire contiennent par exemple plus de plomb que les contenants de boissons et d'aliments, dont la teneur est restreinte par la loi pour des raisons de santé. C’est pourquoi il faut les jeter aux ordures ménagères ou les éliminer avec les gravats. Markus Marchhart, responsable marketing chez le distributeur d’emballages alimentaires Müller Glas, ajoute : « Les différentes compositions influenceraient la qualité de la cuve de fusion. »
Vous vous demandez peut-être si le plomb des verres à boire est aussi mauvais pour la santé. Non, pour autant que vous n’y laissez pas traîner du vin pendant des mois. Ce métal lourd est peu soluble et ne pose donc aucun problème, pour autant qu’on utilise les verres comme à l’ordinaire. En revanche, si des boissons acides comme le vin sont conservées plus longtemps dans des bouteilles en verre, le plomb pourrait s’y dissoudre (en allemand). C'est pour ça que leur composition est strictement réglementée.
Tous les verres à boire ne sont pas faits de la même façon. Les verres à base de calcaire et de carbonate de sodium, typiquement produits en masse, ne contiennent pas de plomb et pourraient donc être recyclés avec le verre. Ce n’est par contre pas le cas des verres en cristal de plomb, comme les verres à vin haut de gamme. Le métal lourd les rend plus solides, plus éclatants, et il leur donne un joli son. Malheureusement, il faut s’y connaître pour vraiment les différencier. Dans le doute, il faut tout jeter aux ordures.
Bon, je sais maintenant pourquoi les contenants en verre et les verres à boire ne doivent pas être éliminés ensemble. Mais pourquoi les points de collecte ne sont-ils pas simplement dotés de containers pour les verres à boire ? Pourtant, la Loi fédérale sur la protection de l’environnement mentionne : « La production de déchets doit être limitée dans la mesure du possible », suivie de : «Les déchets doivent être valorisés dans la mesure du possible. »
Le verre à boire est (presque) toujours problématique
Philipp Suter, responsable de mandat chez Vetroswiss, m’explique pourquoi ce type de verre ne peut pas (encore) être recyclé : « Même si certaines matières premières sont bien connues, la composition exacte des verres est un secret bien gardé des fabricants. » Or, comme nous l'avons vu plus haut, elle a un impact sur la qualité de la cuve de fusion, et se répercuterait sur la composition du verre recyclé. Voilà pourquoi les morceaux de verres à boire doivent être placés dans les déchets ménagers, puis finir à l’usine d'incinération.
Mais le problème n'est pas réglé pour autant. « Le verre a un point de fusion d’environ 1600 degrés, alors que les incinérateurs atteignent 700 à 1000 degrés. Il ne fond donc pas complètement ; il s'agglutine et reste dans la cuve. Il faut ensuite se débarrasser du mâchefer, ce qui représente une perte de temps et d'argent », précise M. Suter.
Quelle est la solution ? Le mieux serait de réutiliser ce matériau dans le domaine de la construction. « En théorie, on pourrait l’intégrer au béton recyclé, pour autant qu’il soit finement moulu. Des particules de quelques millimètres seulement provoqueraient déjà une réaction alcali-silice dans le milieu alcalin du béton (pH de 13), ce qui le dilaterait et finirait par provoquer des fissures et des fêlures », m’explique le Dr Frank Winnefeld, expert en béton et en ciment au Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa). Mais même finement moulu, le verre reste problématique. « L’Ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets édicte des valeurs à ne pas dépasser pour les polluants, dont le plomb. » Cela explique pourquoi on se limite surtout aux granulats recyclés à partir d’anciens murs ou structures en béton.
M. Marchart de Müller Glas pense qu’il existe une deuxième raison à l’élimination des verres à boire dans les ordures ménagères, plutôt économique. « En tant que fabricant d’emballages autrichien, nous versons une redevance à Allstoffrecycling Austria (ARA) pour chaque emballage vendu. ARA utilise cet argent pour organiser l’élimination, le recyclage, et les points de collecte des déchets. En principe, cela ne concerne que les emballages à usage unique. Aucune redevance n’est appliquée aux verres à boire. »
La situation suisse est similaire, puisque Vetroswiss perçoit la taxe d’élimination anticipée (TEA) mentionnée au début du texte. Et ici aussi, la TEA ne s’applique qu’aux bouteilles en verre d’au moins 90 millilitres, mais pas aux verres à boire. M. Suter ne confirme toutefois pas le soupçon de M. Marchart. Selon lui, c'est l’éventuelle teneur en plomb des verres à boire qui pose problème. Leur élimination n'est donc pas financée la TEA, mais par les taxes d’élimination des ordures municipales (perçues sur les étiquettes de taxes à ordures ou les sacs poubelles). On part du principe que celui qui produit les déchets paie pour leur élimination.
Les pots de confiture ou de cornichons et les flacons d’huile font figure d’exception, puisqu’ils ne sont pas concernés par la taxe d’élimination alors qu’ils vont dans les containers à verre usagé et sont recyclés. Résultat, moins de TEA et une moindre contribution aux coûts de la collecte du verre usagé.
Résumé
En fin de compte, il n’existe aucune solution parfaite à l’élimination et à la réutilisation des verres à boire. Les contenants en verre et les verres à boire ne peuvent pas être éliminés ensemble, car ils n’ont pas la même teneur en plomb. Or chaque verre est unique, et sa composition reste confidentielle. Les verres à boire ne sont donc pas non plus recyclés avec les verres spéciaux. Ils pourraient être finement moulus et incorporés au béton recyclé, puis réutilisés dans l’industrie du bâtiment, mais la réaction alcali-silice et la limite imposée aux polluants contenus dans les matériaux étrangers compliquent l’opération. De plus, la quantité de verres à boire éliminée est relativement faible ; ce n'est donc pas un problème urgent d’un point de vue économique.
Au fait, saviez-vous que notre verre est recyclé depuis le milieu des années 70 ? Selon M. Suter, on peut employer jusqu’à 90 % de verre recyclé dans la fabrication du verre, ce qui réduit la consommation d’énergie de 25 %. Durant la crise pétrolière, Vetropack, grand producteur de contenants en verre suisse, a commencé à recycler le verre pour économiser de l’argent. Une entreprise de transport privée voulait créer un système de collecte du verre usagé à domicile. Ce projet n’a pas abouti, car il ne permettait pas de séparer le verre par couleur (en mélangeant les différentes couleurs, on ne peut produire que du verre vert), et la population avait peur d’être jugée sur sa consommation de boissons. Le premier container public a donc été inauguré en 1976, pour que chacun puisse jeter ses bouteilles de bière et de vin par couleur, en toute discrétion.
C’est précisément ce que j’ai fait 45 ans plus tard, le jour où j’ai placé pour la dernière fois du verre à boire dans un container à verre.
Élargir mon horizon: voilà comment je résumerais ma vie en quelques mots. J'aime découvrir de nouvelles choses et en apprendre toujours plus. Je suis constamment à l'affût de nouvelles expériences dans tous les domaines: voyages, lectures, cuisine, cinéma ou encore bricolage.