Quand les pixels nous habillent
En coulisse

Quand les pixels nous habillent

Les vêtements créés par ordinateur ne sont pas un phénomène nouveau dans le monde des jeux vidéo. Ils partent à présent à la conquête du monde de la mode. Voici venue la mode virtuelle.

La marque RTFKT a récolté trois millions de francs en six minutes en vendant 1200 baskets, virtuelles, soulignons-le. Et les vêtements ne sont pas non plus en reste. Ce phénomène n’a rien d’étonnant puisque, avec l’essor du télétravail et des vidéoconférences, nous passons une grande partie de notre vie derrière un écran. Et plus nous sommes en ligne, plus nous avons envie d’exprimer notre style vestimentaire virtuellement.

Les vêtements numériques sont la tendance du futur. Le monde de la mode mise déjà sur les technologies comme la réalité augmentée et la visualisation en 3D pour vendre ses marchandises. En effet, des cabines d'essayage virtuelles facilitent les achats en ligne, et les Smart Mirrors (en allemand) améliorent l’expérience d’achat en magasin. Les vêtements et accessoires virtuels ont le vent en poupe.

Élargir l’horizon

La vie s’est arrêtée brusquement pendant le (semi-)confinement. Nous avons dû nous redéfinir et nous occuper. Beaucoup ont d’ailleurs joué à « Animal Crossing: New Horizon » (en anglais). Ce jeu de stimulation développé par Nintendo ne convainc d’ailleurs pas que les gamers, puisqu’il offre la possibilité de s’évader des quatre murs entre lesquels le coronavirus nous a cloîtrés. Les joueurs ont un avatar qui vit sur une île paradisiaque et y rencontre des personnages aux intérêts communs. On peut aussi looker son personnage, ce qui plaît aux fans de mode. Cette hype soudaine a aussi attiré l’attention des grands noms comme Valentino et Marc Jacobs ; ils ont commencé à créer des vêtements virtuels à télécharger à l’aide d'un code. Des jeux comme « Les Sims » et « Fortnite » sont aussi source de collaborations avec Diesel, Gucci et Nike, qui récoltent de belles sommes avec leurs tenues virtuelles. Au vu des annulations constantes des Fashion Weeks, le monde de la mode cherche des plateformes innovantes, comme les jeux vidéo, pour promouvoir leurs collections de vêtements.

Animal Crossing : un look signé Valentino. Photo : Valentino et Kara Chung
Animal Crossing : un look signé Valentino. Photo : Valentino et Kara Chung

La nouvelle drogue douce

Un sac à dos Balenciaga à prix modique ? Impossible dans la vie réelle. Et pourtant, la marque de luxe française s’est associée au jeu de survie collaboratif « Fortnite » et votre avatar enfilera le sac à dos du designer pour une vingtaine de francs. Bien entendu, si vous vous identifiez à lui, vous finirez tôt ou tard par vouloir vous acheter un article similaire... Son prix ? 1425 CHF. Aïe ! Vous imaginez bien que la marque ne s'est pas privée de créer aussi une collection bien réelle. Il faut bien qu’elle réalise des profits ! Son but n’est évidemment pas de s’approprier le monde des jeux vidéo, mais de commercialiser ses collections physiques. Avec cette stratégie, les marques transforment des parfums considérés auparavant comme des drogues douces en articles virtuels pour fidéliser leur clientèle. La mode virtuelle augmente l'attrait pour les produits réels. Les jeunes milléniaux et la génération Z en sont particulièrement friands, car ils surfent sur les limites du réel et du virtuel.

Et n’oublions pas que toute personne qui se respecte souhaite se montrer sous son meilleur jour. Pas question de publier deux images de la même tenue sur les réseaux sociaux ! Mais si vous êtes un influenceur et que les maisons de mode ne vous offrent aucun produit, ça devient vite très cher, et peu écologique. Rien d’étonnant alors à ce que, selon une étude britannique(en anglais), 9 % des participants aient admis commander régulièrement des habits pour se mettre en valeur sur Instagram avant de les retourner. C’est non seulement injuste envers la marque, mais aussi mauvais pour l'environnement. Et si on enfilait un vêtement comme on met un filtre sur un selfie ? Un peu comme les filtres d’Instagram. On ferait d'une pierre deux coups !

Mission possible

Suivre toutes les tendances sans crouler sous une montagne de vêtements ? D’après les deux fondatrices de DressX, c’est possible. Le boutique en ligne que Daria Shapovalova et Natalia Modenova ont lancée l’année dernière ne vend que des vêtements virtuels. On y trouve vestes, baskets ou encore looks Dolce & Gabbana complets. Pour y faire du shopping, il vous suffit de télécharger un selfie qui vous est renvoyé rapidement. Autrement dit, le vêtement ou l’accessoire est quasi fait sur mesure et placé sur votre photo. Vous ne recevez pas un fichier du vêtement, mais un selfie retouché. Comme d’autres plateformes comparables, les créatrices de DressX aimeraient un jour vous habiller à l’occasion d’une vidéoconférence, par exemple.

La start-up hollandaise The Fabricant a été la première à vendre une robe virtuelle en 2019. La pièce de designer coûtait la modique somme de 9500 francs (en anglais). C’est le directeur d’une entreprise de sécurité par blockchains qui l’a offerte à sa femme Mary. Une fois la robe vendue, The Fabricant l’a ajustée sur mesure. L’heureuse propriétaire a dit être enchantée du résultat. Elle aimerait toutefois porter la robe plus souvent, et pas seulement sur les photos. Elle applaudirait une intégration des vêtements virtuels sur TikTok.

Mary et sa pièce unique : la robe « Iridescence » de The Fabricant. Photo : The Fabricant
Mary et sa pièce unique : la robe « Iridescence » de The Fabricant. Photo : The Fabricant

La fondatrice de The Fabricant, Amber Slooten, a obtenu son diplôme de design de mode en créant une collection entièrement virtuelle. Elle est convaincue que la mode ne doit pas impérativement être physique : « notre identité numérique est devenue presque plus importante que notre identité physique ». Elle s’est associée à son conjoint Kerry Murphy, cinéaste et spécialiste en effets virtuels. Avec sa start-up fondée en 2018, le duo veut rendre la mode un peu plus écologique. De nos jours, la fast fashion fabrique des vêtements dans des pays aux faibles coûts de production, les expédie à l’autre bout de la planète pour n'être portés, en fin de compte, qu'une seule fois par les consommateurs. Les vêtements numériques sont la solution à ce problème, du moins pour autant que nous passions nos journées en télétravail et sur les réseaux sociaux. The Fabricant ne consomme que des données et de l’électricité. Une société qui fonctionne aux clics et aux likes peut vraiment contribuer à faire percer la mode virtuelle. Plus besoin de faire du shopping en magasin, et les vêtements numériques finissent ensuite dans la corbeille de l’ordinateur, et non pas à la poubelle.

Les idées ne manquent pas, encore faut-il que les consommateurs suivent le mouvement. Les « modenautes » autoproclamés de The Fabricant conseillent les marques comme Puma, Under armour et Buffalo London : avec des narratifs en 3D, des campagnes et la numérisation de processus de design, la start-up pave le chemin de la mode virtuelle. Par exemple, elle a développé des chaussures de feu qui mettent en avant sa collection physique. Tommy Hilfiger mise aussi sur son expertise puisque, avec son aide, la marque souhaite numériser l’ensemble de son processus de design jusqu’au printemps 2022, pour accélérer les processus internes.

Visualisation en 3D d’un pull à capuche signé Tommy Hilfiger. Photo : Tommy Hilfiger x The Fabricant
Visualisation en 3D d’un pull à capuche signé Tommy Hilfiger. Photo : Tommy Hilfiger x The Fabricant

Les frontières du réel et du virtuel disparaissent

Fin septembre, le premier Meta Gala a eu lieu lors du MET Gala à New York, dans le cadre de la deuxième Crypto Fashion Week. Selon le principe « As Above, So Below », des avatars ont présenté des robes exclusives qui ont été mises aux enchères au terme de l’événement numérique. Une partie des recettes sont versée à un fonds qui soutient les designers de la relève. The Fabricant a d’ailleurs proposé un de ses modèles durant la plupart des enchères, vendu 8800 francs.

La robe « The Empress of the Metaverse » a été présentée par l’influenceuse virtuelle « Ruby 9100m » à l’occasion du Meta Gala. Photo : The Fabricant
La robe « The Empress of the Metaverse » a été présentée par l’influenceuse virtuelle « Ruby 9100m » à l’occasion du Meta Gala. Photo : The Fabricant

Malgré toutes les possibilités qu’offre la mode virtuelle, elle est encore loin de faire l’unanimité. Il va falloir qu'elle peaufine son offre pour convaincre les consommateurs lambdas. En effet, les designs virtuels font davantage penser à des costumes de cosplay ou de carnaval qu’à des pièces à porter au quotidien. Et les prix sont douteux : plus un vêtement fait de pixels à l’air conventionnel, plus il est cher. Pourquoi devrais-je débourser 5000 francs pour une tenue virtuelle signée Dolce & Gabana si je ne le fais pas dans la vraie vie ?

La mode virtuelle aura peut-être une chance auprès du grand public si les fashion designers repensent leurs prix et si les vêtements virtuels se mettent à bouger avec nos corps. Une chose est sûre : ils redonnent à la mode son sens premier, un moyen d'exprimer notre créativité.

La mode numérique

Porteriez-vous des vêtements virtuels ?

  • Oui, évidemment.
    14%
  • Jamais de la vie !
    56%
  • Voyons comment tout cela va évoluer.
    30%

Le concours est terminé.

Photo d’en-tête : Image : Le Fabricant

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Quand je ne suis pas en train d'explorer les océans, je plonge avec bonheur dans l'univers de la mode. Toujours à l’affût des dernières tendances dans les rues de Paris, Milan et New York, je vous montrerai comment arborer ces habits de podium dans la vie de tous les jours. 


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