Sexualité et vieillesse : d’où vient le tabou ?
Avez-vous déjà vu des personnes âgées avoir des rapports intimes dans un film ? Jamais ? Dania Schiftan, sexothérapeute, nous explique les origines du tabou.
Pour préparer cet article, j’ai regardé un film. Wolke 9 raconte l’histoire d’Inge, 70 ans, mariée depuis 30 ans à son compagnon Werner. Inge tombe amoureuse de Karl qui va bientôt fêter ses 80 ans. Au dos de la jaquette du DVD, je lis : « De la passion et du sexe ». Deux mots clés que je n’associerais pas intuitivement au grand âge. Ou que je refuse d’y associer ? En tout cas, devant le film, mon malaise augmente de minute en minute. À certains moments, je ne pouvais tout simplement pas regarder et devais enfouir mon visage dans les coussins du canapé. Pourtant, j’ai déjà vu des films allant plus loin encore. Montrant plus de peau, plus de parties du corps, plus de sexe. Mais jusque là, cela n’avait jamais concerné des corps vieillissants. La réalité me parait bien crue et je n’étais pas prête à y être confrontée. Mais pourquoi ? La sexothérapeute Dania Schiftan m’aide à y voir plus clair.
Dania, j’ai regardé le film Wolke 9 sur ta recommandation. Je dois cependant avouer que j’ai eu du mal avec les scènes de sexe. Suis-je la seule ?
Dania Schiftan, sexothérapeute et psychothérapeute : Non, tu es loin d’être la seule. C’est quelque chose que nous ne sommes pas habitués à voir. Et ce que nous ne voyons pas n’existe pas, du moins dans notre cosmos. Que ce soit dans les films, sur les affiches ou dans les spots publicitaires, seuls les jeunes ont des relations sexuelles. Leurs corps sont fermes, beaux, musclés et leurs mouvements sont fluides. On occulte totalement le fait que les personnes âgées ont aussi des relations sexuelles. Nous n’avons donc aucune image en tête.
Je ne m’attendais quand même pas à être si prude. J’ai eu honte de moi-même.
C’est tout à fait normal d’avoir peur de l’inconnu. Nombreuses sont les personnes qui ont du mal à regarder des vulves, par exemple, ou trouvent ça honteux. N’étant pas habituées à cette vue, elles trouvent aussitôt que c’est quelque chose de moche. Le fait que tu aies du mal à regarder ne fait donc pas de toi une personne intolérante, méchante ou injuste, c’est tout à fait normal. Lorsqu’ils sont mis face à des choses inhabituelles ou nouvelles, la plupart des gens se montrent réticents ou sur la défensive. Il est cependant important de s’y intéresser, car cela nous concernera un jour.
Comment se fait-il que la sexualité des personnes âgées ne soit pas plus visible ?
Personne n’a envie d’imaginer ses parents ou même ses grands-parents en train de faire l’amour. Le mythe selon lequel on n’a plus de sexualité en vieillissant est tenace. On pense que le désir finit par s’estomper, qu’à un certain moment on ne « le » fait plus ou que ça n’est plus possible. Rien de tout cela n’est vrai, bien au contraire.
Quelle est la réalité alors ?
Lorsque l’on interroge les personnes âgées de 65 à 80 ans sur leur désir de tendresse, plus de 90 % répondent qu’elles ont très envie de proximité, de caresses et de câlins. Elles désirent aussi toujours des rapports sexuels. Il est d’ailleurs possible de vivre une sexualité épanouie jusqu’à un âge avancé, même si on n’en parle pas.
Peut-on briser ce tabou ?
Nous vieillissons tous et nous savons que cela nous concernera aussi un jour. Refuser d’en parler, c’est donc faire l’autruche. Mieux vaut s’y confronter à temps. Regarder un film comme Wolke 9 dans ce but peut être un bon exercice. C’est en effet seulement lorsqu’on comprend que ce qu’on voit nous heurte, que l’on peut apprendre à y faire face.
Comment la génération concernée gère-t-elle la situation ?
Pour la plupart, il est difficile de parler de leur sexualité. Il leur arrive même de penser que leurs désirs sexuels ne sont pas légitimes. Peut-être parce qu’un proche a lâché un propos indélicat au cours d’une conversation. Ou parce que leurs médecins ou thérapeutes ne prennent pas le sujet au sérieux. Rapidement, la honte prend le dessus et on se sent dépourvu : « Il faut que je m’y fasse, c’est fini ! »
Les besoins sexuels ne disparaissent donc pas parce qu’on a quelques années de plus au compteur. Mais il n’est pas plus réaliste de penser que rien ne change avec l’âge. Quels sont les obstacles que rencontrent les personnes âgées dans leur sexualité ?
Avec l’âge, notre corps change. Il se peut que les modèles sur lesquels nous nous reposions et les habitudes que nous avions ne fonctionnent plus. Tout à coup, notre genou peut devenir trop douloureux dans notre position préférée, nos muscles sont devenus trop faibles pour nous soutenir ou le tissu conjonctif se relâche. Pour les femmes, les muqueuses sont souvent plus sèches et peuvent se fissurer. Le gland du clitoris peut aussi devenir moins sensible et la stimulation est alors plus difficile. On devient moins endurant. Les hommes ont tendance à vite se remettre en question dès qu’ils constatent que leur sexe ne devient plus aussi dur qu’auparavant.
Comment gérer au mieux ces changements ?
Il faut s’adapter à la nouvelle situation et trouver de nouvelles habitudes. Ça n’est facile pour personne et c’est souvent le moment où l’on abandonne et dit adieu à une vie sexuelle active. Pour certains, la frustration prend le dessus et ils se disent simplement que c’est fini. Nous sommes pourtant capables de nous adapter et d’apprendre, et ce tout au long de notre vie. Nous pourrions donc découvrir une nouvelle position excitante. Dès lors que nous acceptons cela, nous pouvons découvrir de nouvelles formes de tendresse en vieillissant et avoir une sexualité épanouissante. Il suffit d’élargir ses horizons.
Ce qui signifie ?
Un homme qui pense que rien ne va si son pénis ne durcit pas comme il l’espère passe à côté de toutes les autres facettes que le sexe a encore à lui offrir. Avec un peu plus d’ouverture, il pourrait découvrir quels autres types de caresses il apprécie. Au premier abord, on peut avoir l’impression de faire un pas en arrière. Mais avec un peu de pratique, on peut découvrir une sexualité nouvelle qui satisfera les besoins d’intimité et de tendresse.
Nous devons donc oublier le « tout ou rien » ?
Exactement ! Je tiens tout de même à souligner que certaines conditions médicales ont bien entendu une influence sur notre sexualité, par exemple certains troubles neurologiques, des maladies cardio-vasculaires ou un cancer. Les médicaments tels que les antidépresseurs peuvent également avoir une influence négative sur la libido et l’excitation. Toute douleur physique doit bien sûr faire l’objet d’une consultation. Il existe des remèdes faciles à de nombreux problèmes.
As-tu des exemples ?
En cas de sécheresse des muqueuses, on peut avoir recours à des crèmes. Les médicaments contre l’impuissance sont également très efficaces. Il faut cependant veiller à mettre en avant la recherche du plaisir et non de la performance. Malgré les défis, il y a toujours moyen d’explorer et de vivre une nouvelle sexualité.
L’essentiel est donc de rester créatif !
Outre les rapports sexuels purs, il existe d’innombrables possibilités de vivre sa sexualité. Au soir de sa vie, on pourra peut-être découvrir le potentiel sensuel des massages, des caresses et des baisers. L’essentiel, même à un âge avancé, reste de donner de l’espace à notre sexualité et d’en parler.
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En tant que fan de Disney je vois toujours la vie en rose, je vénère les séries des années 90 et les sirènes font partie de ma religion. Quand je ne danse pas sous une pluie de paillettes, on me trouve à des soirées pyjama ou devant ma coiffeuse. PS Le lard est un de mes aliments favoris.