
En coulisse
L’influence de l’alimentation sur le corps des bodybuilders
par Claudio Viecelli
La créatine est l’un des compléments alimentaires les plus appréciés des sportifs pour améliorer leurs performances. Peut-elle également être utile contre le syndrome d’épuisement après une infection au Covid-19 ?
Le syndrome d’épuisement post-viral est une maladie neurologique de longue durée que l’on connaît aussi sous le nom de fatigue chronique. Cette pathologie se caractérise par l’incapacité de participer à des activités quotidiennes qui étaient tout à fait faisables par le passé. Les symptômes persistent parfois pendant plus de six mois. Les personnes concernées ressentent une fatigue intense et ne jouissent pas d’un sommeil réparateur. Ce syndrome peut apparaître après une infection virale [1]. La pandémie causée par un coronavirus a entraîné une augmentation du nombre de personnes souffrant d’un syndrome d’épuisement. Jusqu’à 45 % des personnes ayant souffert du Covid-19 sont touchées par le syndrome d’épuisement [2-5]. La créatine peut-elle y remédier ?
Avant de pouvoir répondre à cette question, je vais vous expliquer ce qu’est la créatine et comment elle fonctionne dans le corps humain.
En 1832, le chimiste français Michel-Eugène Chevreul a découvert que la créatine était un composant naturel de la viande [6]. La créatine est également présente dans le poisson [7,8] et joue un rôle central dans le métabolisme musculaire. Avec 6,5 à 10 g/kg, c’est le hareng qui fournit le plus de créatine, alors que le saumon en apporte environ 4,5 g/kg. La viande de bœuf contient à peu près la même quantité de créatine que le saumon [6].
Les enzymes nécessaires à la production de créatine se trouvent dans le foie, dans le pancréas et dans les reins. Le processus biochimique est le suivant : la créatine est produite par trois acides aminés et passe dans le sang pour atteindre les muscles, où l’on retrouve plus de 95 % de la créatine disponible. Le reste de la créatine se trouve dans divers tissus, notamment le cerveau, les yeux, les reins, le gros intestin, l’intestin grêle et les testicules [9-12].
Au cours d’une journée, l’organisme humain synthétise et consomme environ 2 g de créatine. Le dépôt de créatine dans les muscles peut atteindre 14 à 20 g/kg de masse musculaire sèche [13]. La dégradation de la créatine conduit à la créatinine qui, comme la créatine, est éliminée de l’organisme par les reins. La créatine est absorbée par le tractus gastro-intestinal. Elle rejoint les tissus correspondants via la circulation sanguine [14]. Le taux d’absorption de la créatine monohydrate (c’est la forme de créatine la plus vendue) est de presque 100 % [15]. Dès 1992, Harris et al. [16] ont montré qu’une supplémentation de 20 à 30 g/jour, administrée par doses de 5 g, permettait d’augmenter jusqu’à 20 % la teneur intramusculaire en créatine chez l’être humain. Aujourd’hui, la créatine fait partie des compléments alimentaires les plus étudiés et les plus scientifiquement fondés du marché [7,17].
Dans le muscle, la créatine est phosphorylée [14]. Cela signifie qu’un groupe phosphate est ajouté à la créatine. La créatine phosphorylée qui en résulte est alors appelée phosphocréatine. Elle joue un rôle fondamental dans le métabolisme musculaire. En effet, la phosphocréatine est en mesure de produire et de recycler l’adénosine triphosphate (ATP). Pour qu’un muscle puisse effectuer un travail mécanique, il a besoin d’énergie, qu’il reçoit sous forme d’ATP. L’ATP peut être produit dans le muscle par plusieurs processus métaboliques. Il peut être obtenu par la dégradation des acides gras, des glucides, de la glycolyse ou, précisément, de la phosphocréatine. Or, ces processus métaboliques se déroulent à des rythmes différents. La dégradation des acides gras fournit le plus d’ATP, mais c’est aussi le processus le plus lent [18]. En revanche, la phosphocréatine permet de synthétiser très rapidement de l’ATP, mais elle est moins performante pour dégrader des lipides ou des glucides [18]. Si l’on augmente le taux de phosphocréatine dans le muscle, on accroît la capacité de production et de recyclage de l’ATP. Cela augmente l’apport énergétique pendant l’entraînement et permet de prolonger ce dernier.
Et maintenant, revenons à la question posée au début : la créatine peut-elle être utilisée comme forme de thérapie contre le syndrome d’épuisement Covid-19 en raison de ses propriétés et de ses fonctions dans l’organisme humain ?
Un groupe de recherche guidé par Slankamenac et al. [19] s’est penché sur la question de savoir si la créatine pouvait aider à lutter contre le syndrome d’épuisement après une infection au Covid-19. Dans un essai clinique randomisé en double aveugle, les scientifiques ont comparé ce qui se passait quand les patients prenaient un placebo ou, au contraire, une supplémentation en créatine monohydrate. Pour ce faire, ils ont recruté 12 patients souffrant d’un syndrome d’épuisement apparu après un Covid-19. Le groupe « créatine monohydrate » a reçu 4 g de créatine monohydrate par jour pendant 6 mois. Quant au groupe « placebo », il a absorbé 4 g d’inuline (c’est un prébiotique). L’évaluation a porté sur les éléments suivants : la fatigue ; le taux de créatine dans les tissus ; les rapports des patients ; le temps de marche jusqu’à l’épuisement ; l’apparition et la gravité des effets secondaires. Ces aspects ont été relevés au début de l’étude, après trois mois et après six mois.
Le niveau de créatine dans le muscle vaste médial (il se trouve sur la face médiale de la cuisse) était significativement plus élevé dans le groupe « créatine monohydrate » (P < 0,01) par rapport au groupe « placebo ». C’était également le cas pour la teneur en créatine dans le cerveau (P < 0,01). Par ailleurs, la créatine a réduit les douleurs pulmonaires et corporelles dans le groupe « créatine monohydrate » et a augmenté la concentration de ces personnes. Un patient a signalé de légères nausées passagères après la prise de créatine monohydrate, mais aucun autre effet secondaire n’a été rapporté.
La créatine n’est pas un remède miracle contre le syndrome d’épuisement lié au Covid-19. Cependant, l’étude scientifique a permis de montrer qu’il augmente l’énergie disponible dans les tissus et atténue les symptômes cliniques du syndrome. C’est pourquoi la créatine monohydrate peut apporter un soulagement et être utilisée comme complément alimentaire sûr pour lutter contre le syndrome d’épuisement post Covid-19.
Biologiste moléculaire et musculaire. Chercheur à l'ETH Zurich. Athlète de force.