« La protection du climat passe par l'innovation »
« Notre objectif est loin d'être atteint », déclare Roman Bolli, Sustainability Adviser chez South Pole, qui a activement participé à l'élaboration du modèle de compensation climatique et en sait long sur la protection du climat. Dans cette interview, il explique comment les 1 300 000 CHF compensés par la communauté ont été utilisés et quels sont les résultats.
Quel bilan pouvez-vous tirer des douze mois de mise en service du modèle de compensation climatique ?
Roman Bolli : nous sommes agréablement surpris de l'accueil de la communauté envers cette nouvelle prestation. À l'issue d'une courte phase de démarrage, les chiffres montrent une stabilisation autour de 10 % de la compensation des achats en ligne. C'est un succès fulgurant. Et pour cause, les clients doivent choisir activement la compensation en appuyant sur un bouton à chaque achat. Voilà la preuve de notre capacité à répondre à un besoin des clients concernant la protection du climat dans la vente au détail en ligne.
Combien la communauté a-t-elle injecté dans les projets climatiques de South Pole au cours des douze derniers mois ?
Depuis son lancement l'été dernier, plus de 1,4 million de francs suisses ont été investis dans des projets de protection du climat, soit 60 000 tonnes de CO2 évitées. La communauté a ainsi apporté une contribution importante à la protection du climat. Mais notre objectif est loin d'être atteint. En collaboration avec Digitec Galaxus, nous voulons augmenter continuellement ce montant en montrant aux clients que la compensation est un outil de protection du climat judicieux et utile, en plus de la réduction des émissions personnelles.
Il est difficile d'imaginer ce que représente concrètement l'économie de 60 000 tonnes de CO2. Auriez-vous un point de comparaison ?
60 000 tonnes de CO2 représentent un an de renoncement à la conduite de 21 000 propriétaires de voitures. Un passager en classe économique devrait faire environ 8500 fois le tour du monde pour rejeter la même quantité de CO2 dans l'atmosphère. Pour aller un peu plus loin, selon l'Office fédéral de l'environnement, nous produisons 4,4 tonnes de CO2 par an et par habitant en Suisse. La compensation volontaire de la globalité des achats en ligne – soit une fraction de l'empreinte carbone personnelle –, les clients de Digitec Galaxus ont compensé les émissions annuelles d'environ 13 500 personnes !
Concrètement, que devient cet argent ?
La communauté Digitec Galaxus soutient des types de projets très différents. Tout d'abord, il y a la protection des forêts tropicales, préservant ainsi les écosystèmes qui se sont développés sur de longues périodes et qui abritent diverses espèces animales et végétales. D'ailleurs, la protection des forêts tropicales est un levier extrêmement important dans la lutte contre le réchauffement climatique. Selon des études, la déforestation des zones existantes est responsable de 15 % des émissions mondiales de CO2, car ce dernier, stocké dans les arbres, se libère alors dans l'atmosphère. Injecté dans de tels projets, l'argent de la Suisse permet la mise en œuvre de mesures concrètes de protection contre la déforestation dans ces zones. En outre, les populations locales bénéficient de moyens de subsistance de remplacement.
Qu'est-ce que l'on entend par là ?
L'exemple d'Isangi illustre bien les effets positifs et divers de la participation financière aux projets. Le projet Isangi protège contre la déforestation plus de 187 000 hectares de l'une des forêts tropicales les plus riches en biodiversité de la planète. Cette protection apporte à la population locale un autre moyen de subsistance que l'exploitation forestière. C'est justement le but de ce projet. En promouvant le développement économique local et en mettant en œuvre des initiatives éducatives, même les communautés éloignées ont la possibilité de façonner activement leur avenir. Par exemple, le projet emploie plus de 20 formateurs qui enseignent aux populations locales à optimiser les rendements des activités agricoles.
Concrètement, quel est l'impact de ces initiatives éducatives sur la protection de la forêt tropicale d'Isangi ?
Le dernier rapport de suivi du projet montre une réduction nette des émissions estimée à 2,5 millions de tonnes de CO2 dans la zone du projet pendant toute sa durée. En outre, 85 autochtones travaillent à plein temps dans les activités du projet. Les initiatives mentionnées ci-dessus ont permis à plus de 1800 personnes un meilleur accès à la formation au cours de la période considérée. La contribution de la communauté garantit la mise en œuvre continue de ces activités de projet. Avec ses différentes initiatives, le projet offre donc à la population locale un autre moyen de subsistance visant en premier lieu la protection de la forêt tropicale et non sa déforestation.
Tous nos projets sont certifiés selon des normes internationales qui répondent aux exigences de ce que l'on appelle l'additionnalité. Pour faire court, sans l'argent provenant des crédits carbone, les projets ne seraient pas économiquement viables et donc irréalisables.
Les premiers certificats sont « arrêtés ». Quelle est la prochaine étape ?
Nous sommes là dans ce que nous appelons des cycles d'investissement et de soutien à long terme. La compensation CO2 ne fonctionne pas selon le principe suivant : « Pour 2 CHF, nous plantons un arbre dont voici la photo ». Il s'agit plutôt de développer des projets significatifs sur plusieurs décennies en construisant des structures durables. Pour être concrétisés, ces projets devront également être financés à l'avenir par des certificats de CO2. Pour en savoir plus sur ces projets, rendez-vous sur le site Web de South Pole.
L'Accord de Paris sur le climat est sur toutes les lèvres. En quoi la compensation des émissions de CO2 peut-elle contribuer au respect de la réduction des émissions de gaz à effet de serre convenue par contrat ?
Pour parvenir à zéro émission nette d'ici 2050, l'empreinte carbone mondiale devra diminuer d'environ 30 milliards de tonnes de CO2 d'ici 2030. Il s'agit d'un pari audacieux. Pour le relever, les entreprises et les particuliers doivent réduire de façon considérable leurs propres émissions de CO2, ce qui prendra du temps, mais s'avère nécessaire au maintien de la hausse de la température planétaire à moins de 2°C. Heureusement, la protection du climat a plus d'un tour dans son sac. La compensation du CO2, par exemple, permet d'injecter les fonds dans des projets mondiaux visant la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre à grande échelle et la progression des mesures efficaces de protection du climat, et ce, dans les régions du monde où l'on obtient le plus grand impact par franc investi.
Une économie de 30 milliards de tonnes de CO2, c'est énorme. Quel est le potentiel de la compensation du CO2 par des certificats ?
Grâce au système de certificats de CO2, le rejet dans l'atmosphère de plus d'un milliard de tonnes de gaz à effet de serre au total a déjà été réduit ou évité. Les chiffres montrent que la compensation des émissions de CO2 ne peut être qu'une mesure supplémentaire pour atteindre nos objectifs climatiques. L'objectif premier doit être d'empêcher les émissions de se produire en premier lieu. De ce fait, le produit le plus durable reste celui que nous n'achetons pas.
Selon les experts, quels sont les plus grands leviers de réduction des gaz à effet de serre ?
Pour stopper le réchauffement climatique, l'ensemble de la société doit s'engager. Une protection efficace du climat nécessite de nouveaux cadres juridiques qui encouragent les entreprises à repenser les modèles commerciaux et les chaînes d'approvisionnement existants et à les rendre neutres sur le plan climatique. Cela passe par l'innovation. La promotion de la loi sur le CO2 en Suisse ou le ‘Green New Deal’ à l'échelle de l'UE sont des signes que de telles conditions-cadres seront de plus en plus encouragées à l'avenir.
Et qu'en est-il du changement de comportement individuel ?
Une chose est claire, nous devons tous modifier progressivement notre comportement afin de réduire les gaz à effet de serre à un niveau compatible avec les limites de la planète. La planète doit pouvoir continuer à respirer. Toutes les informations concernant nos devoirs envers elle sont logiques et compréhensibles : « mobilité à faibles émissions, électricité verte et plus d'aliments à base de plantes ». Un vol aller-retour en classe économique Suisse-Nouvelle-Zélande génère plus de 6 tonnes de CO2, soit quasiment les émissions annuelles totales d'un habitant moyen de la planète. Autre point important ? Le choix du bon fournisseur d'électricité. Un ménage moyen peut économiser jusqu'à 1,9 tonne de CO2 par an en passant à l'électricité verte. Et ceux qui ont une alimentation équilibrée comportant moins de viande réduiront leur empreinte carbone personnelle de 400 kilogrammes supplémentaires de CO2 par an.
**Cela signifie-t-il que nous devons faire des vols de vacances une infraction punissable, obliger les fournisseurs d'électricité à produire de manière neutre en matière de CO2 et introduire une taxe salée sur la viande ?
Il existe des domaines où un cadre politique est utile. Mais c'est un processus de négociation sociale. La crise climatique exige de nous tous une action responsable fondée sur les faits et les recommandations préconisés par la science.
Pour prendre conscience de son empreinte CO2 personnelle, il existe des calculateurs de CO2 en ligne. Connaître les raisons de son empreinte carbone permet d'entreprendre des changements visant la réduction et la compensation.
En raison de la pandémie, la mobilité n'a posé aucun problème au cours des 12 derniers mois. Toutefois, cela devrait changer à nouveau dès l'automne au plus tard. Comment la mobilité quotidienne doit-elle changer pour que nous puissions atteindre nos ambitieux objectifs climatiques ?
Si le confinement a permis d'améliorer la qualité de l'air et de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans plusieurs pays et villes du monde, il a également entraîné, à court terme, une réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'Allemagne, par exemple, a atteint ses propres objectifs climatiques pour 2020. Cependant, les faibles niveaux d'émission sont manifestement le résultat de mesures politiques temporaires. Ce qui est clair, c'est que la mobilité demeurera l'enjeu crucial de la Suisse dans les années à venir. Selon SuisseEnergie, les Suisses parcourent en moyenne 37 kilomètres par jour environ (hors pandémies), dont deux tiers en voiture, soit une distance importante qui, extrapolée, génère plus de 30 % des émissions totales de CO2 de la Suisse. Il est impératif que nous nous attaquions rapidement à cette source d'émissions.
Cela signifie-t-il que nous devions opter pour le train ?
Pas forcément. Mais se déplacer davantage en transports publics est un moyen très efficace de réduire notre empreinte carbone. Dans un petit pays aussi organisé que la Suisse, les avantages sont énormes. Que ce soit en train, en bus ou, pour les plus petites distances, à vélo, chaque coin de la Suisse est accessible rapidement et confortablement. Cela étant, sur certains trajets, il est tout à fait judicieux de se déplacer en voiture, de préférence avec une voiture électrique ou partagée. Je recommande à chacun de suivre sa mobilité personnelle et les émissions qui en résultent sur le site Swiss Climate Challenge. Il sera ainsi possible d'agir en conséquence.
La crise du coronavirus a permis de démontrer que de nombreux vols d'affaires étaient inutiles. La tendance au télétravail et à la vidéoconférence ne contribue-t-elle pas également à la lutte contre le changement climatique ?
En avril dernier, nous avons mis en relation les données du Swiss Climate Challenge et le coronavirus : les émissions liées à la mobilité ont en réalité diminué de moitié. Pour ce qui est du trafic aérien, la part des émissions de CO2 est tombée à environ 10 % une fois le confinement décrété et à 0 % pratiquement dès la la troisième semaine de confinement. Les transports publics ont enregistré une baisse du nombre de passagers d'environ 83 %. Les déplacements en voiture ont diminué de 35 % en tout. Toutefois, pour les trajets domicile-travail, certains privilégient apparemment la voiture en raison des « distanciations sociales ». De ce fait, au plus fort de la crise, les émissions liées à la mobilité proviennent presque entièrement du trafic automobile avec une part de 84 %. En revanche, les distances parcourues à vélo ont également doublé.
Il est possible que certaines des leçons tirées de la pandémie soient transposables dans le quotidien post-coronavirus. Faut-il aller au bureau chaque jour ? Peut-on s'y rendre à vélo ? Quel voyage d'affaires peut-on remplacer par de la vidéoconférence ? Et les vacances en Suisse ne sont-elles pas aussi fantastiques qu'ailleurs ?
Mon travail, c’est de m'assurer que les employés et les journalistes sont au courant de ce qui se passe chez Digitec Galaxus. Cela dit, rien ne fonctionne sans un grand bol d'air frais et une bonne dose d’activité physique. Je recharge mes batteries dans la nature pour rester à jour et je trouve la sérénité nécessaire pour apprivoiser mes enfants en écoutant du jazz.