« South Pole ne vend que des certificats valables »
Dans les coulisses

« South Pole ne vend que des certificats valables »

Tobias Billeter
7/3/2023
Traduction: Alassane Ndiaye

Pour un achat sur dix, notre clientèle compense son empreinte écologique avec des certificats de CO2 de South Pole, la première entreprise mondiale de protection climatique. Certains médias affirment depuis des semaines que tout ne se déroule pas correctement. Nous avons posé la question directement au CEO de South-Pole, Renat Heuberger.

Depuis quelques semaines, des rapports critiques circulent dans les médias au sujet du projet africain de protection des forêts « Kariba », avec lequel South Pole collabore et dans lequel des fonds de compensation de Digitec Galaxus ont également été versés. Le journal Der Bund écrivait par exemple à ce sujet le 21 février 2022 : « Comme l’a récemment révélé une enquête internationale, les projets de protection des forêts se basent justement sur des prévisions parfois massivement surestimées. Kariba a également été surestimé de 50 pour cent, admet South Pole et ne vend provisoirement plus de certificats issus de ce projet. » Nous avons demandé à Renat Heuberger, fondateur et CEO de South Pole, si ces affirmations et d’autres étaient vraies.

**Selon les articles de certains médias, les journalistes d’investigation flairent le scandale. On y lit par exemple que South Pole vend des certificats de CO2 issus de projets de protection des forêts alors qu’aucune économie de CO2 n’est réalisée. En d’autres termes, South Pole trompe ses client·es et se remplit ainsi les poches. Qu’est-ce que tu en dis ? **
South Pole vend exclusivement des réductions d’émissions certifiées en externe. Chaque certificat confirme la réduction d’émission d’une tonne de CO2. Tous les calculs sont transparents et la documentation du projet peut également être consultée par le public. En tant que développeur de projet, nous ne pouvons d’ailleurs pas délivrer de certificats. Seules des organisations comme VERRA (en anglais), par exemple, peuvent le faire. Depuis notre création en 2006, South Pole n’a pratiquement pas versé de dividendes, mais a investi la quasi-totalité de son excédent dans la poursuite de sa croissance et de ses projets. Nous apprécions les critiques fondées et les prenons très au sérieux. Mais ce « scandale » suggéré n’en est pas un. Le véritable scandale est la couverture médiatique trompeuse de certains représentants des médias. Cela nuit à la protection du climat et aux communautés qui, sur place, ont de meilleures perspectives de vie grâce à ces projets.

**Les développeurs de projets de protection des forêts ne sont-ils pas confrontés à un conflit d’intérêts général, par exemple lorsqu’ils émettent volontairement trop de certificats sur la base de prévisions de déforestation incorrectes ? **
Il y a ici un malentendu fondamental : South Pole, en tant que développeur de projet, doit suivre en détail la méthodologie du certificateur pour établir un pronostic sur le nombre de certificats qu’un projet pourrait générer. South Pole ne peut pas influencer et encore moins déterminer le nombre de certificats délivrés. Il n’est pas possible de « délivrer trop de certificats », la méthodologie VERRA le rend impossible. En effet, chaque projet de protection des forêts doit recalculer tous les 10 ans, et même tous les 6 ans à l’avenir, le taux de déforestation supposé dans le modèle initial. Si le taux modélisé était trop élevé, le projet recevra moins de certificats au cours de la période suivante ou inversement. Cette compensation fait partie intégrante du mécanisme prédéfini. Nous n’avons pas de marge de manœuvre ici.

**Passons au projet de protection de la forêt « Kariba ». La presse a pris pour cible l’un de vos premiers projets de protection des forêts en Afrique et n’est pas avare de reproches sévères. Certains articles suggèrent par exemple que des certificats « sans valeur » ont été vendus. Cette critique est-elle justifiée ? **
South Pole vend exclusivement des certificats valables correspondant à une réduction équivalente de CO2. Cette critique est également un coup injuste porté à la population du nord du Zimbabwe, qui profite de ce projet depuis plus de 10 ans et a réussi à réduire massivement la déforestation dans la région.
Chaque projet de protection du climat doit faire l’objet d’un pronostic, notamment pour pouvoir estimer s’il est en mesure de générer l’impact positif souhaité. Encore une fois, South Pole ne peut pas influencer ces prévisions de réduction des émissions, nous devons suivre la méthodologie du certificateur.

**Comment expliquez-vous les critiques dans les médias ? **
Le malentendu fondamental est le suivant : dans une première prévision en 2011, le potentiel du projet a été estimé à jusqu’à 36 millions de tonnes de CO2 économisées. C’est ce qu’a révélé la modélisation effectuée à l’aide de la méthodologie prescrite par l’organisme de certification. En fait, le projet a ensuite permis d’économiser environ la moitié en 10 ans. Et cela ne pose absolument aucun problème, la méthode part même de telles fluctuations et les corrige sur la durée de chaque projet. Même si le nombre de certificats vendus était supérieur au nombre d’émissions économisées au cours des 10 années, ce serait tout à fait acceptable, le mécanisme de correction établi compenserait cela au cours des prochaines années du projet.
Il est également important de faire la distinction entre les certificats délivrés par le certificateur et ceux vendus par des entreprises comme South Pole. Nous n’avons pas vendu 36 millions de certificats, mais seulement environ 23 millions. Tout s’est déroulé dans les règles de l’art : chaque certificat est réel. Chaque client·e de Digitec Galaxus qui a compensé ses achats fait partie de cette impressionnante histoire à succès au Zimbabwe.

**Les projets actuels sont-ils toujours mis en place selon les mêmes normes qu’il y a dix ans ? **
Les normes introduites il y a dix ans sont de grande qualité et sont toujours utilisées aujourd’hui. Une nouveauté se dessine toutefois : dans le cadre de l’Accord de Paris, la plupart des États fixeront à l’avenir directement ce que l’on appelle le Forest Reference Emission Level (FREL), c’est-à-dire pour ainsi dire le taux de déforestation officiel prédominant dans le pays. Nous saluons cette mesure, car elle empêche des accusations telles que « nous avons mal calculé », l’État dicte alors le calcul.

**Dans les projets d’investissement à long terme, comme la construction de tunnels ou de barrages, les erreurs d’estimation et les dépassements de coûts massifs sont fréquents. Ceci parce que les conditions générales changent constamment. Cette tendance s’applique-t-elle également aux projets de protection des forêts ? Et si oui, pourquoi ? **
Bien entendu, cela est également possible, voire probable, pour les projets de protection des forêts. Des conditions politiques et légales changeantes, des rapports de propriété complexes, etc. sont autant d’éléments qui peuvent entraîner des retards. Mais ce qui est important pour les client·es de Digitec Galaxus, c’est que South Pole ne vend que des certificats qui correspondent réellement à une réduction d’émission d’une tonne de CO2 exactement. Si le projet a du retard ou si sa mise en œuvre est moins importante que prévu, nous vendons moins de certificats en conséquence.

**En tant que développeur de projet, quels sont les facteurs que vous prenez concrètement en compte pour calculer le potentiel d’économie de CO2 ? **
Lors du calcul, nous devons suivre très précisément la méthodologie définie par l’organisme de certification et seul ce dernier délivre des certificats. Nous et les autres développeurs de projets n’avons absolument aucune marge de manœuvre pour appliquer nos propres règles. De plus, tous les calculs sont transparents à 100 % pour tout le monde. Dans le cas du projet Kariba, tant la méthodologie de calcul (en anglais) que la documentation du projet (en anglais) sont accessibles au public.

**Où se situent les plus grandes incertitudes dans l’estimation du potentiel d’économie de CO2 ? **
Cela varie selon le type de projet. Sur les presque 1000 projets de notre portefeuille, moins de 10 sont actuellement des projets de protection des forêts. Dans le cas du projet de protection de la forêt de Kariba, la plus grande incertitude concernait le taux de déforestation dans la région de référence, c’est-à-dire en dehors du projet. Ce taux dépend de nombreux facteurs, dont certains ne sont pas prévisibles. Par exemple, jusqu’en 2019, le président Mugabe a fortement encouragé la déforestation avec des décrets qui ont eu pour conséquence de chasser de nombreux paysans de leurs terres et de les installer dans la région de Kariba. Après la mort de Mugabe, le taux de déforestation a baissé dans la zone de référence. De tels changements politiques ne peuvent pas être modélisés, c’est précisément pour cette raison que la méthodologie comprend un mécanisme de correction a posteriori.

**Comment se déroule le contrôle des projets de protection des forêts ou comment vous assurez-vous que vos estimations ne sont pas complètement fausses après quelques années et que, comme vous le prétendez, des certificats ne devraient pas être vendus sur le marché ? **
Le contrôle de gestion se compose de différents processus. D’une part, une vérification externe des performances du projet a lieu tous les un à deux ans. Les données satellites ainsi que les mesures directes dans la zone du projet sont utilisées à cet effet. Il s’agit ici de savoir quelle quantité de CO2 est stockée dans les forêts et les sols et dans quelle mesure les activités du projet ont contribué à réduire ou à éviter les émissions de CO2. Ces vérifications complexes et coûteuses sont effectuées par des contrôleurs qualifiés et indépendants d’organisations telles que le TÜV SÜD. D’autre part, une révision de ce que l’on appelle la baseline a lieu tous les 10 ans, et à l’avenir tous les 6 ans. Dans la méthodologie actuelle, il s’agit ici de savoir quel était le niveau de déforestation dans la zone de référence, c’est-à-dire en dehors du projet. Ces calculs sont également très laborieux et durent généralement au moins un an, car il faut disposer des données complètes d’une immense surface au Zimbabwe, collectées au moins pendant toute une saison sèche et toute une saison des pluies.

**Le contrôle de gestion a-t-il échoué dans l’affaire « Kariba » ? **
C’est le contraire qui s’est produit, le contrôle de gestion a parfaitement fonctionné. La vérification de ce que l’on appelle la « baseline », le « rebaselining » a commencé en juillet 2022, comme prévu depuis le début du projet. Lorsque, au cours de ce processus, nous avons eu des indications selon lesquelles la déforestation dans la zone de référence était plus faible que ce que prévoyait le modèle, nous avons suspendu la vente de certificats supplémentaires. Pourquoi ? Parce que nous savions qu’à l’avenir, nous obtiendrions moins de certificats pour ce projet, exactement comme la méthodologie l’exige. Sur la durée d’un projet de protection du climat, il n’est jamais possible d’émettre et de vendre plus de certificats que le CO2 effectivement compensé. Si nous avions vendu « trop » de certificats, nous ne recevrions plus de nouveaux certificats pour ce projet à l’avenir. Pour les client·es de South Pole, donc aussi pour Digitec Galaxus et ses client·es, cela n’a aucune conséquence.

**L’organisme de certification VERRA, critiqué dans certains médias, délivre des certificats. Cette organisation est-elle encore viable après les accusations portées par les médias ? **
VERRA est à ce jour le seul organisme de certification capable de certifier des projets très complexes tels que des projets de protection des forêts à grande échelle. Actuellement, il n’y a tout simplement pas d’alternative : sans VERRA, il n’est pas possible de délivrer des certificats de CO2 pour des projets de protection des forêts. À court terme, la seule alternative serait de renoncer aux mesures et aux certifications standardisées et de donner de l’argent à l’Afrique par le biais d’organisations environnementales, comme par le passé.

**Y a-t-il quelque chose de mal à ça ? **
Les marchés du carbone sont beaucoup plus susceptibles d’apporter des avantages transformateurs aux pays défavorisés, dont la situation est souvent complexe, car ils permettent de générer des revenus plus stables et à plus long terme pour les communautés locales et les projets de développement.

**Les critiques réclament une instance de contrôle indépendante pour surveiller les vendeurs de certificats, donc aussi South Pole, et mettre fin aux transactions douteuses. Qu’est-ce que tu en penses ? **
Nous en serions très heureux. La transparence et la crédibilité sont les valeurs les plus importantes sur notre marché. Auparavant, dans le cadre du protocole de Kyoto, l’ONU elle-même était l’instance de contrôle des projets de protection du climat à l’étranger. L’Accord de Paris a également adopté un ensemble de règles sous le contrôle de l’ONU. Malheureusement, ces plans n’ont pas été mis en œuvre à ce jour. Nous sommes en contact avec des organisations gouvernementales depuis de nombreuses années et exigeons cette mise en œuvre et cette solution, mais renoncer entre-temps à des projets de protection climatique pour cette raison serait fatal.

**Le rapport de Zeit Online indiquait que certain·es employé·es de South Pole avaient démissionné en raison de leur mécontentement. Cette représentation est-elle exacte ? **
Non, cette affirmation ne reflète pas la réalité. Dans notre dernière enquête, les employé·es ont déclaré que leur travail chez South Pole les inspirait et qu’ils s’identifiaient à la mission, à la vision et au but de South Pole. Des valeurs telles que la diversité ou l’innovation sont également des moteurs de la réussite de South Pole. Nous employons actuellement environ 1200 personnes de plus de 30 pays différents et nos expert·es sont fier·ères de travailler chez South Pole.

**Quelle serait ta proposition pour assurer un contrôle transparent et crédible des projets de protection du climat ? **
Les mécanismes de contrôle des projets de protection climatique que nous planifions ou soutenons sont déjà extrêmement transparents. Contrairement aux économies de CO2 réalisées par une organisation environnementale classique, vous trouverez chacun de nos projets, avec tous les détails, dans une base de données accessible au public. Nous serions heureux de recevoir des indications solides sur les points que nous pouvons améliorer. Mais je suis triste de voir que c’est justement cette transparence qui est utilisée par des journalistes qui ne comprennent pas bien les mécanismes, pour écrire des rapports trompeurs.

**Regardons encore un peu devant nous. Depuis quelque temps, le terme Carbon Capture Storage (Captage et Stockage du Carbone) fait sensation dans le secteur. Comment évalues-tu le potentiel de cette technologie ? **
Pour atteindre l’objectif net zéro, nous avons besoin de toutes les solutions, et ce très rapidement. Dans cette optique, nous sommes également très favorables au Carbon Capture and Storage (Captage et Stockage du Carbone) et avons lancé en 2022 la « NextGen CDR-Facility » (en anglais) à cet effet. De grandes entreprises comme UBS, Swiss Re, BCG, LGT et le japonais Mitsui sont heureusement les premiers investisseurs.

Merci Renat pour cette discussion ouverte\

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Tobias Billeter
Head of Corporate Communications
Tobias.Billeter@digitecgalaxus.ch

Mon travail, c’est de m'assurer que les employés et les journalistes sont au courant de ce qui se passe chez Digitec Galaxus. Cela dit, rien ne fonctionne sans un grand bol d'air frais et une bonne dose d’activité physique. Je recharge mes batteries dans la nature pour rester à jour et je trouve la sérénité nécessaire pour apprivoiser mes enfants en écoutant du jazz. 


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