Le polyester est-il injustement diabolisé ? Une ingénieure textile nous explique
13/2/2024
Traduction: Anne-Salomé Evéquoz
Les gens ont tendance à froncer le nez devant les vêtements en polyester. Pourtant, comme l’explique l’enseignante Angela Wagner, ce matériau a sa raison d’être.
Le polyester est l’une des fibres les plus utilisées dans l’industrie textile, et beaucoup le considèrent comme du plastique bon marché. Pourtant, du point de vue de la technique textile, ce matériau a beaucoup à offrir. Angela Wagner, ingénieure textile diplômée, enseigne à l’École suisse du textile STF où elle dirige la filière Junior Product Manager. Elle explique ce qui rend le polyester unique, pourquoi il sent mauvais plus vite que les fibres naturelles et quelles innovations durables font actuellement l’objet de recherches.
Angela, le polyester a mauvaise réputation. En tant qu’experte en textile, tu l’évites au maximum ?
Bien au contraire. Passionnée d’ingénierie textile, j’aime tous les types de fibres.
Qu’est-ce qui te passionne dans le polyester ?
Le polyester est une matière propice à la transformation. C’est en particulier dans le domaine fonctionnel que ce matériau excelle et peut offrir plus d’avantages que les fibres naturelles.
Les fibres naturelles ne sont donc pas fondamentalement meilleures ?
Non. Le choix de la fibre dépend toujours de ce que le vêtement doit pouvoir faire en fin de compte.
Qu’est-ce qui fait du polyester un choix populaire pour les vêtements techniques ?
Le polyester a une grande résistance à la déchirure tout en étant indéformable, résistant à la lumière et aux intempéries. C’est une matière donc très robuste. En outre, la fibre n’absorbe pratiquement pas d’humidité. Cela est particulièrement pertinent dans le domaine du sport et des activités de plein air.
Que veux-tu dire exactement ?
Lorsque tu transpires dans un T-shirt en coton, la fibre s’imprègne et reste longtemps mouillée. Cela a pour conséquence de refroidir notre corps. Un effet que nous souhaitons éviter. En revanche, les fibres de polyester n’absorbent pratiquement pas la transpiration, mais la dirigent vers la surface où elle peut s’évaporer.
Pourquoi la transpiration est-elle si désagréable quand on porte des vêtements en polyester ?
Parce que le confort dépend aussi beaucoup de la finition. En d’autres termes, le type de fil dans lequel les fibres sont filées. Et plus important encore : comment le fil sera finalement utilisé, par exemple sous forme de tricot ou de tissu. Le tricot est plus perméable à l’air que le tissu tissé serré.
Le polyester dégage plus rapidement des odeurs que les fibres naturelles. Comment cela se fait-il ?
Le fait que le polyester n’absorbe pratiquement pas d’humidité est un inconvénient à cet égard. Lorsque nous transpirons beaucoup, la sueur reste à la surface. Les bactéries qui colonisent naturellement notre peau se multiplient très volontiers dans ce climat chaud et humide. C’est en décomposant la sueur qu’elles produisent cette odeur désagréable pour nous.
On dit souvent que les fibres synthétiques ne respirent pas. Est-ce un mythe ?
La respirabilité décrit l’échange entre le corps, le matériau et l’environnement, c’est-à-dire si l’air peut entrer et si l’humidité peut être évacuée. Les fibres de polyester offrent en principe ces propriétés. Toutefois, comme nous l’avons mentionné, la respirabilité dépend également de la construction de la matière.
Il ne suffit donc pas de faire attention au type de fibres ?
Non, plusieurs éléments contribuent à la respirabilité des vêtements. Ce que beaucoup oublient en outre : si l’on porte par-dessus un T-shirt respirant un pull ou une veste qui ne favorise pas cette fonction, cela nuit à son efficacité. C’est pourquoi les fabricants de mode fonctionnelle proposent souvent des systèmes vestimentaires complets. Ils s’assurent ainsi que la fonctionnalité souhaitée est maintenue dans chaque couche.
Le polyester est donc indispensable dans le domaine fonctionnel. Quels sont les avantages de ce matériau dans les vêtements de tous les jours ?
Lorsque le polyester a été introduit dans les années 50, le principal argument de vente était qu’il ne se froissait pas. C’est encore un grand avantage, surtout en voyage. De plus, le polyester est très facile à entretenir. Du point de vue du design, il est intéressant de noter que, contrairement à la plupart des fibres naturelles, il s’agit d’un matériau thermoplastique et donc malléable. Cela permet par exemple de fabriquer des tissus plissés. En général, le polyester est très facilement modifiable.
Qu’est-ce que cela signifie dans ce contexte ?
Que la forme extérieure et donc l’aspect et le toucher de la fibre peuvent être facilement modifiés. Ainsi, le polyester peut tantôt rappeler la soie, tantôt le coton. Des vêtements délicats aux grosses vestes d’extérieur, une large gamme de vêtements est réalisable. L’intérieur de la fibre peut également être adapté. Les fibres dites creuses, par exemple, offrent une grande capacité de rétention d’air, ce qui les rend particulièrement légères et chaudes. En ajoutant des substances ignifuges, on peut même fabriquer des équipements pour pompiers à partir du polyester. Ce qui actuellement n’est pas possible avec les fibres naturelles.
**Pourquoi le polyester est-il si souvent assimilé à une mauvaise qualité ?
Je pense que c’est pour des raisons historiques. À ses débuts, les vêtements en polyester avaient un caractère fortement synthétique et étaient majoritairement utilisés pour les costumes et les chemises. Ce n’était agréable ni à toucher ni à regarder. Mais entre-temps, la transformation a bien avancé.
**Pour quel type de vêtements déconseilles-tu aux gens d’opter pour du polyester ?
C’est quelque chose de très individuel. Je porte du polyester et des mélanges de polyester principalement pour le sport. Pour les pulls tricotés, je préfère clairement la laine ou d’autres poils d’animaux comme le cachemire ou l’alpaga. Mais si un chemisier en polyester est agréable au toucher et a une couleur particulièrement belle ou une finition de qualité, je ne l’exclurai pas systématiquement. Il existe en effet des labels haut de gamme qui en font de magnifiques vêtements. Et même si les fibres synthétiques sont en moyenne moins chères que le coton ou la laine, il existe déjà des tissus en polyester très coûteux.
**Peux-tu expliquer comment le polyester est fabriqué ?
Pour simplifier, la production commence par la transformation du pétrole en un acide. En ajoutant de l’alcool, il se produit une réaction chimique appelée estérification, d’où le nom de la fibre. La substance PET est alors produite. Sous l’effet de la pression et de la chaleur, ces molécules de PET sont reliées en longues chaînes, ce qui donne un granulé soluble, une sorte de pâte visqueuse. Cette masse est ensuite pressée à travers des filières, qui ressemblent à un pommeau de douche. Les brins de fibres qui en résultent sont fixés par de l’air froid et donnent les filaments de polyester.
Quelle est la durabilité du polyester par rapport aux autres fibres ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question, car de nombreux facteurs doivent être pris en compte. Par exemple, les émissions de CO2, la consommation d’eau, la durée de vie et le recyclage des matériaux. Le polyester est généralement fabriqué à partir de pétrole et n’est donc pas biodégradable. Rien que sur cet aspect, la durabilité n’est pas assurée. En ce qui concerne le recyclage, je vois toutefois un certain potentiel. Le polyester recyclé est déjà utilisé dans de nombreux endroits, et l’industrie textile consacre actuellement beaucoup de recherches à différentes stratégies de recyclage.
Tu dis « généralement ». Le polyester n’est donc pas toujours obtenu à partir du pétrole ?
Les polyesters biosourcés font lentement leur apparition sur le marché. Ils sont de plus en plus fabriqués à partir d’amidon de maïs et sont donc biodégradables. La question se pose toutefois de savoir s’il est éthiquement acceptable que des aliments soient transformés en textiles.
Quels sont les défis liés au recyclage du polyester ?
Le polyester est facilement recyclable, tant qu’il s’agit d’un textile pur. Les choses se compliquent avec les mélanges. Actuellement, l’industrie textile travaille sur la possibilité d’identifier numériquement les différentes fibres afin de les séparer efficacement. Je pense qu’il s’agit d’une approche prometteuse. Il est particulièrement pertinent dans la mesure où les mélanges de textiles sont largement utilisés dans l’industrie textile.
Le polyester recyclé présente-t-il des inconvénients en termes de qualité ?
En partie, oui. C’est pourquoi on voit souvent des tissus qui contiennent un mélange de fibres neuves et recyclées. Des travaux sont toutefois en cours pour amener le polyester recyclé issu de bouteilles en PET et de textiles au niveau de qualité du polyester nouvellement fabriqué.
En quoi le polyester recyclé est-il de mauvaise qualité ?
Les fibres ne sont pas en soi de qualité inférieure. Elles sont toutefois soumises à des fluctuations plus importantes. Il se peut qu’elles n’aient pas la résistance souhaitée ou que la couleur ne soit pas d’un blanc immaculé en raison des différentes bouteilles en PET, et qu’il ne soit donc pas possible d’en fabriquer de n’importe quelle couleur.
Le polyester est aussi souvent critiqué parce que les fibres synthétiques représentent l’une des principales sources de microplastiques.
Les microplastiques sont un thème d’actualité complexe, dans lequel l’industrie textile joue un rôle important aux côtés d’autres secteurs. Différentes études ont démontré qu’une faible vitesse d’essorage ainsi qu’une température de lavage d’environ 30 degrés peuvent contrecarrer la libération de microplastiques. Le cycle délicat est à proscrire pour les tissus synthétiques, car la quantité d’eau plus importante entraîne l’élimination d’un plus grand nombre de fibres. Les fabricants de machines à laver proposent en outre souvent des filtres adaptés.
Les microplastiques ne sont-ils pas une raison de renoncer complètement au polyester ?
L’idéal serait bien sûr d’avoir un jour une solution de remplacement durable. Mais tant que ce scénario ne se réalise pas, je pense que la meilleure option est de garder les matières premières dans le circuit.
Photo d’en-tête : Issey Miyake via Launchmetrics/SpotlightA un enthousiasme sans limites pour les épaulettes, les stratocasters et les sashimis, mais peu d'indulgence pour ceux qui critiquent son dialecte de Suisse orientale.