Le porno féministe déconstruit un genre à l’image scandaleuse
En coulisse

Le porno féministe déconstruit un genre à l’image scandaleuse

Janina Lebiszczak
29/9/2022
Traduction: Anne Chapuis

Des gros plans sur les organes génitaux ou plutôt du sexe au-delà des stéréotypes de rôle et de genre ? Le FemPorn est censé offrir une alternative au « gonzo » et au « male gaze ».

J'étais autrefois au service d'un magazine masculin, où j'étais responsable des histoires de sexe. La plupart étaient tellement explicites que j'écrivais sous un nom de plume : Pandora. Mon « alter ego ». Lorsque la presse écrite était encore grande et les budgets aussi, je me suis rendu dans la banlieue de Barcelone pour un reportage. L'industrie européenne du porno de luxe s'y était installée, tandis que le « gonzo », venue d'Amérique, commençait sa marche triomphale : des films de cul produits à bas prix avec beaucoup de gros plans.

J'ai cependant pu me rendre sur le plateau d'un film tourné dans des conditions décentes. Avec un script, de superbes caméras, des costumes et des maquillages, un design de plateau, un service de restauration, des pauses suffisantes, des actrices et des acteurs assurés et du plaisir à travailler. La société de production s’appelait « Private Films » et, autrefois, elle garantissait un certain standing.

Mais ce qui m'a le plus impressionné, c'est une jeune femme que j'ai rencontrée le dernier soir de mon voyage, lors de la première d'un film très particulier. Son nom ? Erika Lust. Un nom d'artiste, bien sûr. Cette Suédoise talentueuse s'était mis en tête de conquérir le public féminin en tant que productrice de porno. Ses amies et amis s'étaient réunis en ville, dans son appartement pour examiner sa première œuvre « The Good Girl ». L'histoire classique du livreur de pizza qui ne se contente pas de livrer la pizza. Mais cela parfaitement mis en scène ; jusqu'au revêtement du canapé. Et comme musique de fond, au lieu des morceaux habituels, on pouvait entendre Beautiful Day de U2. Le focus ? Il était clairement sur le point de vue féminin.

Oui, le porno peut aussi écrire l'histoire du cinéma

Et pour la première fois, j'ai vu dans un film porno quelque chose de totalement nouveau pour ce genre : un plaisir authentique. Et la joie de vivre. C’était en 2003, quand « The Good Girl » a marqué l'histoire du cinéma érotique : au cours du premier mois, deux millions de personnes ont utilisé le lien de téléchargement gratuit sur Internet et en 2004, il a été récompensé par le prix du meilleur court métrage au Festival international du film érotique de Barcelone. Encouragée par le succès, Erika a créé sa propre société de production « Lust Films ».

Entre-temps, l'entreprise compte plus de 20 employés, distribue, outre des films, des livres et des sex toys et a créé les « xconfessions » : des gens comme vous et moi racontent leurs fantasmes érotiques sur le site, Erika sélectionne des histoires parmi ces dernières et les transforme en films. Le triomphe de la pornographie faite par des femmes (ou du moins axée sur les besoins féminins) était lancé. Et il n'y a rien de mal à cela ; j'insiste sur le fait que je n'exprime ici que mon opinion privée.

Ce qui excite les femmes dans le porno ? Presque la même chose que les hommes (en tout cas pas le sexe vanille)

D'un point de vue cinématographique, la pornographie relève probablement de la « science-fiction/fantastique » ; presque tout est possible et certainement tout est exagéré. Le porno est cru et criard et, à bien des égards, ne correspond pas à la réalité. Cela ne me gêne pas. Pour moi, le porno peut correspondre à son cliché, la réalité me suffit vraiment.

Presque personne ne croit sérieusement (sauf certains mineurs ; l'hypersexualisation des jeunes encore inexpérimentés est un véritable problème !) qu'un pénis moyen mesure 30 centimètres de long et qu'une vulve moyenne est rose et sans poils. Et tout au plus une minorité de personnes trouve souhaitable d'être recouverte de sperme par toute une horde d'étrangers.

Mais à quoi ressemble-t-elle, cette réalité ? Les femmes ont-elles vraiment besoin de beaucoup d’action et de tendresse, voire de romantisme, dans les films pornos ? Et ces derniers, rendent-ils vraiment insensible, créent-ils une dépendance et rendent-ils malheureux à long terme ? Pour un travail de recherche international sérieux datant de 2022, 2433 femmes ont été interrogées anonymement sur leur vie sexuelle. Les femmes qui regardaient du porno pendant la masturbation montraient un plus grand intérêt pour le sexe, se masturbaient plus souvent, avaient moins de difficultés à s'exciter pendant la masturbation et étaient également plus facilement excitées lors de rapports sexuels avec un partenaire. En ce qui concerne la conception du contenu des films, je pense justement à une étude récente. Le travail de Susanna Paasonen, chercheuse finlandaise spécialisée dans les médias, vient étayer cette affirmation : les femmes sont attirées par une gamme de contenus pornographiques similaire à celle des hommes.

2000 femmes ont répondu à des questions détaillées sur leur consommation de pornographie ; le sexe vanille n'en faisait guère partie. Il était plutôt question de domination, de sexe en meute, de jeux de bondage et même de SM. Particulièrement intéressant : parmi les personnes interrogées qui ont déclaré avoir été excitées par du porno violent, nombreuses sont celles qui ont noté qu'elles ne souhaitaient pas avoir ce type de comportement sexuel avec leur partenaire. Elles ont ajouté qu’elles considéraient le porno comme un fantasme et non comme un reflet de la réalité. Pas un reflet, pas un substitut, mais simplement une facette de l'érotisme.

FemPorn : changer la manière dont on fait des affaires avec le corps et la sexualité

Et à l'intérieur de cette facette, il y en a beaucoup d’autres : le sexe brutal, des gros plans sur les organes génitaux, de la salive au lieu de lubrifiant, mais aussi de l’émotivité, du langage corporel et le plaisir de l'expérimentation. Sur ma table de chevet se trouve actuellement un livre au titre enchanteur Feminismus fickt (« Le féminisme baise »). Le savoir de Patrick Catuz, qui est à l'origine d’[« Arthouse Vienna »] (www.arthousevienna.at) avec l'ancienne cantatrice Adrineh Simonian, ne provient pas d’un savoir théorique : en tant que cocréateur d'une plateforme exigeante pour films pour adultes, il connaît le débat contemporain sur la question de savoir si le porno peut aussi être conçu de manière égalitaire. Une citation de son livre : « La pornographie féministe est un phénomène récent, mais elle n'est que la prochaine étape logique. Désormais, il existe aussi des films pornographiques réalisés par des femmes et pour des femmes. Des productions qui se distinguent nettement des habitudes de l'industrie pornographique traditionnelle. Elles changent la manière de faire des affaires avec les corps et la sexualité. Ce n'est donc pas seulement un combat symbolique. »

Cet homme sait de quoi il parle. Seules les œuvres de cinéastes travaillant selon des valeurs éthiques et féministes sont produites et autorisées sur sa plateforme de streaming, afin de créer un cadre sécurisé pour le public et les cinéastes. Toutes les personnes impliquées travaillent dans des conditions équitables. La diversité de genre, d'ethnie et de classe sociale est la priorité absolue. Les styles vont également jusqu'au bondage et au BDSM.

Maintenant, il y a donc de tout : des films pornographiques créés pour le « male gaze », c'est-à-dire le regard masculin, et la pornographie féministe, qui met l'accent sur le plaisir des femmes, au-delà des stéréotypes de rôle et de genre. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de choix sur le marché qu'à l'époque, en 2003 à Barcelone. L’offre va du « fast food » au « restaurant étoilé ». Elle est très diverse : de queer à hétéro, de sexe vanille à BDSM.

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Janina Lebiszczak
Autorin von customize mediahouse

Vivre hors des sentiers battus : qu'il s'agisse de santé, de sexualité, de sport ou de développement durable, chaque sujet demande à être découvert sans aprioris, mais toujours avec une bonne dose d'attention,d'autodérision et d'humour.


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