L’impact de la loi européenne sur l’utilisation de l’intelligence artificielle
Le projet de loi sur l’IA, qui réglemente notamment la reconnaissance faciale, ne fait pas l’unanimité dans l’Union européenne. Si cette loi est adoptée, les capacités de surveillance des États membres s’en verront considérablement renforcées.
Les débats sur la surveillance biométrique sont de retour. En décembre 2023, l’UE s’est enfin mise d’accord sur des règles et des directives pour l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre de la loi sur l’IA. Le thème de la surveillance biométrique est souvent revenu dans les négociations. Les États membres prônaient une plus grande souveraineté dans leur mise en œuvre de la reconnaissance faciale que dans la proposition initiale du Parlement européen. Après de longues discussions, ils ont obtenu gain de cause.
Les États s’opposent à l’interdiction
Les députées européennes et députés européens voulaient interdire la surveillance biométrique à distance en temps réel. De leur point de vue, cette technologie est dangereuse. De fait, la comparaison d’images de caméras avec des images enregistrées revient à faire de la surveillance de masse dans l’espace public. Pour leur part, les États membres ont plaidé pour que la technologie soit autorisée dans des cas exceptionnels, par exemple, en cas de risque prévisible d’attentat terroriste. Cette demande a été acceptée.
Les États membres sont en outre parvenus à obtenir le droit de surveillance biométrique à distance a posteriori. Ainsi, les autorités seraient autorisées à y recourir lorsqu’il s’agit de cibler « une personne condamnée ou soupçonnée d’avoir commis un crime grave ». Le Conseil des ministres n’a toutefois pas mentionné cette disposition spécifique dans son communiqué de presse.
Encore un coup dur pour la réglementation
Cette semaine, la présidence du Conseil a présenté un nouveau projet de loi pour minimiser les restrictions en cas d’identification biométrique a posteriori. Dans cette proposition, la liste des infractions justifiant le recours à l’identification biométrique a tout bonnement été supprimée pour laisser la place à une formulation plus vague. Conformément à l’article 29a du règlement, une autorité de sécurité n’est pas autorisée à utiliser l’IA « en l’absence de lien avec une infraction (...) ».
Le délai d’autorisation judiciaire a également été allongé à 48 heures après le début de la comparaison des données dans le cadre d’une identification à distance. De plus, le projet de loi comporte de nombreuses exceptions dont la formulation est floue. Dans certains cas, les autorités peuvent même lancer une comparaison de données sans l’autorisation de juges, notamment s’il s’agit d’une identification initiale de personnes suspectes potentielles et que ce soupçon est basé sur des faits objectifs et vérifiables en lien direct avec une infraction. Concrètement, les personnes chargées de l’enquête sont libres d’utiliser cet outil comme elles l’entendent.
Crainte d’une utilisation disproportionnée
Le projet de loi fait l’objet de critiques considérables. La députée européenne Svenja Hahn s’est notamment exprimée auprès de la plateforme germanophone Netzpolitik.org, militante pour les libertés civiles. Elle cite le manque de traçabilité pour savoir à partir de quand une évaluation de ces données est considérée comme a posteriori. Il peut s’agir de quelques minutes, ce qui n’est guère différent de la surveillance en temps réel, qui est interdite.
En outre, la suppression de la liste des infractions pénales pose problème. Sans elle, même les infractions mineures peuvent justifier le recours à la reconnaissance faciale. Ceci concerne également les infractions spécifiques à chaque pays, comme l’IVG en Pologne, comme cela a été relevé par Ella Jakubowska, représentante de l’organisation de défense des droits civils EDRi. La porte sera alors ouverte à la surveillance biométrique des manifestations par les autorités au moindre doute, autrement dit tout le temps.
Les différentes parties sont encore en discussion à ce sujet. Le projet de loi devrait être prêt fin janvier et soumis au vote en février, ce qui laisse peu de temps pour procéder à d’éventuelles modifications. Par conséquent, le texte actuel a peu de chances d’évoluer.
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