Meta sous pression, partie 4 : comment Apple est devenu l'ennemi juré
Meta et ses marques Facebook et Instagram font régulièrement les gros titres, bien souvent à leurs dépens. Mark Zuckerberg serait-il au bord du gouffre ? Quatrième partie d'une série sur les problèmes du géant de la technologie.
« Les gens qui s'occupent vraiment sérieusement de logiciels devraient fabriquer leur propre matériel. » C'est ainsi que le fondateur d’Apple, Steve Jobs (photo d’en-tête), a cité le pionnier de l'informatique Alan Kay lorsqu'il a présenté l'iPhone à Cupertino en 2007. Mark Zuckerberg avait alors 22 ans et s'intéressait sérieusement aux logiciels. À quelques mois seulement de là, il avait ouvert son réseau social Facebook aux non-étudiants. Le nombre d'utilisateurs a explosé, l'ambiance était à la fête dans les bureaux de Facebook à Palo Alto. Zuckerberg ne se doutait pas qu'à quelques kilomètres de là, Jobs plantait les graines d'une des plus grandes rivalités de l'histoire de la technologie. Sa citation devrait lui donner raison.
Aujourd'hui, cela fait déjà onze ans que Steve Jobs est décédé. S'il était encore en vie, il serait probablement fier de son successeur. Au cours de la dernière décennie, le CEO Tim Cook a fait d'Apple l'une des entreprises les plus précieuses au monde et, dans l’opinion publique, l’un des géants de la technologie le plus soucieux de la vie privée de ses clients. L'Apple de Tim Cook est aujourd'hui synonyme de protection des données. Pas la Meta de Mark Zuckerberg. Apple produit ses propres logiciels et matériels, elle contrôle rigoureusement les programmes de tiers. Meta a raté le train du matériel à l'ère des smartphones ; une erreur que Zuckerberg ne veut pas commettre une deuxième fois dans le métavers.
Les différences entre les deux entreprises se sont développées au fil des années et sont en train de se transformer en une guerre de philosophies qui menace l'avenir de Meta. Dans l'avant-dernière partie de ma série sur les problèmes de Mark Zuckerberg : comment Apple est devenu un ennemi juré. Si vous avez manqué la troisième partie, vous la trouverez ici :
Un tremblement de terre financier
Le 2 février 2022 le cours de l'action de Meta s'est effondré de 26 %. L'entreprise de Mark Zuckerberg a ainsi perdu 251 milliards de dollars de valeur en une seule journée, ce qui est un record pour une entreprise américaine. Zuckerberg en personne s'est couché ce jour-là 29 milliards moins riche qu'il ne s'était levé le matin.
À première vue, cette chute monumentale des cours semble exagérée : certes, pour la première fois, le nombre d'utilisateurs actifs quotidiens de Facebook a baissé par rapport au trimestre précédent, mais seulement de 1,93 à 1,929 milliard. En tant que groupe, Meta a tout de même réalisé près de 40 milliards de bénéfice en 2021, soit 35 % de plus que l'année précédente. Alors pourquoi les investisseurs retirent-ils leurs capitaux comme si une bulle venait d’éclater ?
Les sombres perspectives de Meta sont la vraie raison. La minuscule baisse du nombre d'utilisateurs a marqué un changement de tendance, car c'était la première dans l'histoire de Meta. En juillet 2022, le premier recul des recettes publicitaires a suivi et, entre-temps, l'action de Meta vaut moins de la moitié de sa valeur d'il y a un an. Zuckerberg se bat sur plusieurs fronts : Facebook perd de sa pertinence, Instagram semble désorienté et le concurrent chinois TikTok devient toujours plus fort. Mais il y a pire encore pour les investisseurs : Apple a déclaré la guerre à Meta.
Petite question, grand effet
Il s'agissait d'une petite mise à jour d’iOS le système d'exploitation de l’iPhone, publiée par Apple un peu moins d'un an auparavant avec une petite nouvelle fonctionnalité appelée « App Tracking Transparency » ou « contrôle du suivi publicitaire ». Elle vous donne la possibilité, en tant qu'utilisateur, de limiter le pistage des applications. Avant la mise à jour, Apple accordait aux développeurs d'applications un accès global à votre IDFA, c’est-à-dire l’« Identifier for Advertisers ». Cela correspond à un numéro attribué à votre appareil. Par exemple, si vous avez consulté un hôtel dans l'application Tripadvisor pour vos prochaines vacances, Tripadvisor a pu attribuer cette activité à votre IDFA. Si vous n’aviez pas réservé l'hôtel, Tripadvisor pouvait utiliser cet IDFA pour aller chez un annonceur comme Meta et faire de la publicité ciblée. Cinq minutes plus tard, vous avez peut-être remarqué une publicité pour l’hôtel que vous avez consulté sur Instagram.
La mise à jour d'iOS en avril 2021 a changé la donne. Quand vous ouvrez une appli qui veut suivre votre activité pour la première fois, une boîte de dialogue apparaît. Les développeurs doivent y expliquer pourquoi ils veulent vous tracer. Mais au final, vous avez toujours le choix : « Refuser le suivi publicitaire » ou « Autoriser ». Plus de 80 % des utilisateurs refusent le traçage. Cela rend la publicité ciblée plus difficile et pose un problème pour Meta. En effet, si la publicité d'une entreprise touche moins précisément son groupe cible, elle est moins payante. Avec l'efficacité, l'attractivité de l'offre publicitaire de Meta diminue également.
Résultat pour Mark Zuckerberg : une estimation de dix milliards de revenus en moins. Cela représente 8 % du chiffre d'affaires total de Meta. Un désastre.
Meta a condamné la décision d'Apple en affirmant que l'App Tracking Transparency nuirait aux petites entreprises, qui auraient désormais plus de mal à atteindre leurs clients. « Nous tenons tête à Apple pour les petites entreprises », a annoncé Meta sur des annonces d’une page entière dans le Wall Street Journal et le New York Times. Pour contourner les nouvelles restrictions, Facebook et Instagram ont en outre adapté leur navigateur in-app : lorsque vous consultez des pages web dans l'appli, chacun de vos clics est à nouveau enregistré. Cependant, des utilisateurs Facebook ont récemment déposé un recours collectif contre ce suivi dérobé.
La protection des données comme modèle commercial
Pour Meta, l’App Tracking Transparency est donc un désastre. Pour Apple, la protection des données est une nouvelle base sur laquelle Tim Cook continue de fonder l'avenir de son groupe. Apple veut être perçue comme l'entreprise qui prend soin de vos données. Le service payant « iCloud Private Relay » propose par exemple un VPN allégé et la possibilité d'anonymiser les adresses e-mail. Selon Apple, l'assistant numérique Siri traite les données directement sur l'appareil au lieu de les envoyer à un serveur. Les données de santé seraient également stockées sous forme cryptée et synchronisées entre les appareils. Avec Passkeys, les Californiens tentent de remplacer les mots de passe par une alternative plus sûre.
Reste à savoir si cette focalisation sur la protection des données est le fruit d'une conviction, d'une stratégie ou d'un mélange des deux. Ce qui est certain, c'est qu’elle permet à Apple de se démarquer de la concurrence sur le plan marketing. Dans de nombreux spots publicitaires et keynotes sur les produits, l'entreprise répète sans cesse le même message : Apple protège vos données. « Nous pensons que la vie privée est un droit humain fondamental », écrit Tim Cook sur Twitter.
La réputation de gardien des données de confiance est toutefois fragile. Cela s'est par exemple manifesté lorsque Apple a annoncé qu’elle allait à l'avenir scanner les images de l'iCloud à la recherche de pornographie enfantine. Le tollé médiatique des organisations de protection des données a été si fort qu'Apple a mis le projet en pause. Les rapports selon lesquels Apple stocke les données de ressortissants chinois sur des serveurs chinois égratignent également son image ; un compromis que Tim Cook a probablement dû accepter pour pouvoir continuer à produire des iPhone en Chine.
Mais de tels bruits de fond ne sont rien comparés aux scandales dévastateurs en matière de protection des données du Meta de Mark Zuckerberg : de la fonctionnalité controversée des balises au fiasco de Cambridge Analytica en passant par les fuites de données d'utilisateurs. Zuckerberg s'est régulièrement vu contraint de présenter des excuses publiques, tout en essayant à chaque fois de se justifier. Que ce soit intentionnellement ou par négligence, l’insouciance à répétition dont Meta a fait preuve pour le traitement des données des utilisateurs a créé et renforcé l’image comme quoi l’entreprise est avide de données et indigne de confiance. Et Zuckerberg, en tant que personne, a écopé du statut d’hypocrite.
Le combat des titans ne fait que commencer
Malgré les pertes et les scandales, les affaires marchent encore bien. Meta est l'une des plus grandes entreprises technologique du monde et reste toujours très rentable. Près de la moitié de la population mondiale utilise l'une de ses plateformes. Mais de sombres nuages s'amoncellent à l'horizon, car Apple menace la vision d'avenir de Zuckerberg : contrairement aux smartphones, dans la réalité virtuelle (VR), il veut non seulement contrôler la plateforme, mais aussi le système d'exploitation et le matériel : « Les gens qui s'occupent vraiment sérieusement de logiciels devraient fabriquer leur propre matériel. » Ainsi, Meta ne serait plus à la merci des restrictions gênantes de protection des données imposées par d'autres entreprises ; la voie serait libre pour la publicité personnalisée dans les mondes virtuels.
Jusqu'à présent, le souhait de Zuckerberg d'exercer un contrôle total sur le métavers semble s'être réalisé : le casque VR Quest 2 de Meta détient une part de marché de plus de 80 %. Sauf que le marché est jusqu'à présent infiniment petit comparé aux smartphones ; d'autres fabricants comme Sony ont certes aussi leurs premiers casques, mais ils n'arrivent pas à la cheville de Meta. La première véritable concurrence pour Zuckerberg ne devrait être autre qu’Apple : selon les rumeurs, un produit correspondant est prévu pour 2023 et Tim Cook, en mettant l'accent sur la protection des données, a nettement mieux positionné son entreprise que Meta pour l'ère de la réalité augmentée (AR) et la VR. Ou à qui préfèreriez-vous donner accès à ce que vous voyez, à vos déplacements et à la direction de votre regard ? Exactement. À cela s'ajoute le fait qu'Apple dispose de plusieurs décennies d'expérience dans le design de matériel et de systèmes d'exploitation. Les précédentes tentatives de Meta dans ces domaines, comme le téléphone portable Facebook, ont en revanche lamentablement échoué.
La lutte entre les deux titans de la technologie va donc s'intensifier. Mark Zuckerberg lui-même a déclaré lors d'une réunion interne que son entreprise et Apple se trouvent dans une compétition de philosophies. Ce sera une mise à l'épreuve pour le CEO de Meta. Il est en train d'investir 10 milliards de dollars par an dans la VR et la RA ; exactement le montant que Meta perd à cause de l'App Tracking Transparency d'Apple. Zuckerberg ne parie pas moins que l'avenir de son groupe sur le métavers. Plus de détails dans le prochain et dernier épisode de ma série : tout ou rien.
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