Meta sous pression, partie 1 : comment Facebook est devenu moins cool
Meta et ses marques Facebook et Instagram font régulièrement les gros titres, bien souvent à leurs dépens. Mark Zuckerberg serait-il au bord du gouffre ? Première partie d'une série sur les problèmes que rencontre le géant de la technologie.
« Aurons-nous également des jours de congé supplémentaires en 2023 ? », la question préenregistrée du pauvre Gary de Chicago, qui ne se doutait de rien, est tombée comme un cheveu dans la soupe lors d’une réunion virtuelle de Meta. Mark Zuckerberg, souverain intouchable de Meta, venait tout juste de clore une longue tirade sur la crise économique sans précédent qui s’annonçait et ses conséquences : les employé·es seraient à nouveau tenus de travailler dur et de se rendre disponibles les jours ouvrés pour les réunions. Il a aussi, et surtout, déclaré : « Si l’on est réaliste, on se rend vite compte qu’il y a beaucoup de gens dans cette entreprise qui n’ont rien à y faire. » Ça, c’est dit. L'ambiance était donc au plus bas. Alors Gary qui demande des jours de congé ? On s’en fiche un peu.
C’est une anecdote symptomatique du retournement de la situation chez Meta. Les années fastes de la société sont derrière elle, l’avenir est incertain. L'empire de Zuckerberg subit la pression de toutes parts : Facebook n’est plus cool du tout. Instagram est massivement critiqué par ses influenceurs vedettes parce qu'il s'éloigne de ses racines. Tiktok pompe les revenus publicitaires de ses deux concurrents Meta, tandis que le groupe de Mark Zuckerberg tente désespérément de prendre le train des vidéos courtes en marche. S’agissant des revenus publicitaires, Apple semble avoir déclaré la guerre à Meta – et personne ne veut avoir l’entreprise la mieux cotée de la tech pour ennemi. Le Metavers peut-il sauver Mark Zuckerberg ? Il semble n’avoir convaincu personne pour le moment.
Que s’est-il passé et quelle sera la suite ? Dans cette série, je vais donc me pencher sur le passé, le présent et l’avenir de Meta pour répondre à cette épineuse question. Cette première partie est consacrée à la déchéance de Facebook, ou comment le réseau est passé de cool à complètement has been ?
De « the place to be » à « boomercity », il n’y a parfois qu’un pas
Vous souvenez-vous des débuts de Facebook ? L’âge d’or de la plateforme a eu lieu pendant mes études. À l'époque, en 2010, Facebook était l'endroit où l'on se connectait aux autres. Presque tous mes ami·es y étaient. Mon fil d’actualité était rempli de visages connus. Tout passait par Facebook : partager des memes, organiser des fêtes ou débattre encore et encore des sujets d’examen. Le site tenait sa promesse : être The Social Network.
Les choses ont bien changé. Aujourd’hui, lorsque je me connecte sur Facebook, je vois principalement de la publicité ou des publications professionnelles et des contenus dont j’ignore comment ils se sont retrouvés là. Au milieu de tout ça surgit parfois une photo de l’un·e des dernier·ères à encore utiliser Facebook pour partager ses photos. Cette personne est généralement de la génération précédente. Les millénaux, comme moi, et les plus jeunes se sont depuis longtemps détournés de la plateforme. Selon les derniers sondages, le pourcentage d'adolescents utilisant Facebook est passé de 71 % en 2014 à 32 % aujourd’hui. Facebook est devenu Boomercity.
Les algorithmes tout-puissants
Pour comprendre comment cela a pu se produire, il nous faut d’abord comprendre comment les algorithmes de Facebook ont évolué au fil des années, car ce sont eux qui décident de ce qu’on voit. Ils sont nés en 2006, en même temps que les flux web. L'idée de pouvoir faire défiler un tel flux semble aujourd'hui aller de soi. Mais à l’époque, c’était révolutionnaire : plus besoin de consulter activement les profils de nos amis pour voir ce qu’ils faisaient. On nous servait tout sur un plateau en argent.
Ce premier algorithme était très simple : on ne voyait que les contenus des personnes et pages que l’on suivait. Les publications les plus récentes se retrouvent en haut de la liste. L’introduction du bouton « J’aime » en 2009 a changé cela. Facebook a commencé à classer les publications non seulement en fonction de leur actualité, mais aussi de leur popularité. En bref, plus une publication obtenait de likes et de clics, plus elle était mise en avant. Facebook a rapidement été envahi de pièges à clics (clickbaits) et s’est vu contraint d'adapter sans cesse ses algorithmes.
En 2016, ils avaient tellement changé que la valeur d’une publication se mesurait avant tout au temps que les utilisateurs y consacraient. Le format vidéo a également été mis en avant. Résultat : le réseau social croulait sous une masse de textes, d'images et de vidéos professionnels qui tentaient de retenir l'attention des utilisateurs le plus longtemps possible.
Clickbait et désinformation
Peu à peu, la crainte de perdre des utilisateurs au profit d’autres plateformes favorisant plus les interactions personnelles et sociales comme Snapchat s’est accrue. Facebook a donc de nouveau cherché le salut dans ses algorithmes. L’objectif n’était plus de maximiser le temps par publication, mais de privilégier la qualité et le sens des interactions, mot clé : « meaningful interactions ». Facebook a commencé à redonner la priorité aux publications d'amis par rapport aux publications professionnelles. Mais non sans un twist : plus une publication était commentée, plus elle était mise en avant.
Si vous êtes allé sur Facebook pendant la pandémie de Covid-19, vous avez probablement remarqué l’effet de ce nouvel algorithme. La plateforme était submergée de publications controversées ; la désinformation et les théories du complot régnaient en maîtres sur tous les fils d’actualité. Logique, ces sujets ne manquent jamais de donner lieu à des batailles verbales acharnées dans les commentaires. Les acteurs professionnels l’ont bien compris et ont créé des usines à troll pour influencer les discours politiques.
Fin 2021, on a appris à quel point le nouvel algorithme contribuait à la désinformation et on a appris que Facebook en était parfaitement conscient. La lanceuse d'alerte Frances Haugen a divulgué des documents d'enquêtes internes. Selon ce rapport, Facebook a lui-même estimé qu'en retirant le facteur « optimization for engagement », il pourrait réduire la désinformation dans le domaine politique de près de 50 %. L’entreprise a certes ensuite déclaré que les documents ayant fuité étaient sortis de leur contexte, elle ne peut cependant pas nier que le nouvel algorithme favorise les publications polarisantes offrant ainsi une plateforme de choix aux contenus pour le moins douteux.
La protection des données ? De quoi parlez-vous ?
Les effets secondaires indésirables des algorithmes ont suscité de nombreuses critiques. Et ils sont loin d'être les seuls à avoir porté atteinte à l'image de Facebook. À cela s'ajoutaient des préoccupations croissantes en matière de protection des données. L'entreprise s'est transformée en une sorte de pieuvre collectant autant de données que possible pour établir des profils utilisateurs qu’elle peut ensuite vendre à des annonceurs pour qu’ils ciblent leurs publicités.
Mark Zuckerberg considère que ce n’est pas le problème de Facebook si de nombreux utilisateurs ne le savent pas ou ne comprennent pas. Ce qu’il pense de la protection des données est particulièrement bien illustré par l’extrait d’une conversation qu’il a eu avec un ami au début de Facebook, auquel seuls les étudiants de Harvard avaient accès à l’époque :
M. Zuckerberg : « Si tu as besoin d'informations sur quelqu'un à Harvard »
M. Zuckerberg : « Tu n’as qu’à demander, j’ai plus de 4000 e-mails, photos et adresses. »
[Nom censuré] : « Quoi ? Comment tu as fait ça ? »
M. Zuckerberg : « Les gens les ont donnés. »
M. Zuckerberg : « Je ne sais pas pourquoi. »
**M. Zuckerberg : « Ils me font confiance. »
M. Zuckerberg : « Crétins. »
Marc Zuckerberg n’a plus eu de propos aussi radicaux dans les années qui ont suivi. Mais il continue aujourd’hui encore de rejeter la responsabilité de la protection des données. En 2010, il a déclaré à ce sujet : « Les gens ne veulent pas d'une protection totale des données. Ils veulent avoir le contrôle de ce qu'ils partagent et de ce qu'ils ne partagent pas. »
La méfiance du public à l'égard de Facebook a atteint un sommet en 2018. Le New York Times et le Guardian ont rendu public la collecte à grande échelle et l’usage abusif des données d’utilisateurs Facebook par l’entrepris Cambridge Analytica. L’entreprise utilisait les données dans des publicités ciblées pour influencer le résultat des élections de 2016 aux États-Unis.
Pour ce faire, l'entreprise a profité du laxisme de Facebook en matière de protection des données : elle a fait développer par une entreprise tierce une application Facebook appelée « This is your Digital Life », dans laquelle les utilisateur·trices passaient un test de personnalité. 270 000 personnes l'ont fait, partageant d'une part leurs propres données pour l'application, mais aussi celles de leurs amis. Sans leur consentement.
Cette seule application n’était pas illégale en soi, mais s'inscrivait dans le cadre des possibilités offertes par Facebook à ses développeurs d'applications. Mark Zuckerberg a une fois de plus tenté de rejeter la responsabilité sur les autres. En effet, selon les dispositions de Facebook, toutes ces données n'auraient dû être utilisées que pour « améliorer l'expérience utilisateur dans l’appli ». Cela n’a cependant pas suffi à détourner l’attention du fait que l’abus avait été rendu possible par le manque de protection des données. Mark Zuckerberg a finalement présenté des excuses publiques, mais le mal était fait et son image n’en ressortirait pas indemne. Suite au scandale, le patron de Facebook a même dû se présenter devant le Congrès américain et répondre à des questions gênantes sur la protection des données et la position de quasi-monopole de Facebook. La vidéo ci-dessous montre des extraits de l’audition :
Des nuages noirs planent au-dessus de la machine à cash de Zuckerberg
L’accumulation des faux pas et erreurs avec les algorithmes, la désinformation et la protection des données ont fait de Facebook ce qu'il est aujourd’hui : un moloch que j’utilise rarement et encore moins pour mes collègues plus jeunes. La qualité des contenus n’est pas au rendez-vous et la plateforme pose trop de questions en matière de protection des données. Cela ne semble pour l’instant pas avoir eu de conséquences financières. La part du lion des recettes publicitaires de Meta provient toujours de Facebook. L'entreprise doit ce succès à deux groupes d’utilisateurs en particulier : les utilisateurs plus âgés et ceux qui viennent de pays émergents comme l'Inde.
Ces derniers ne sont cependant pas des faiseurs de modes. Des nuages noirs planent au-dessus de Facebook, les statistiques de l’App Store sur les dix meilleures applications ne trompent pas. Alors qu'en 2021, Facebook n’avait été absent du top 10 que pendant sept jours, en 2022, ce chiffre est monté à 97 jours. On constate notamment que les jeunes qui reçoivent leur premier smartphone installent moins souvent l'application. Et ces jeunes sont l’avenir.
Comment Mark Zuckerberg répond-il à cette crise ? Sans grande surprise, on mise sur de nouveaux algorithmes, « Discovery Engine » est le petit dernier de Facebook. Rendez-vous dans la partie 2 pour en savoir plus... Je m’y pencherai notamment sur l'une des acquisitions les plus réussies de l'industrie technologique, dont l'histoire révèle en même temps la stratégie problématique de Meta : Instagram.
Photo d'en-tête : installation artistique devant le Capitol le jour de l’audition de Mark Zuckerberg. Photo : Michael Reynolds / KeystoneMon empreinte digitale change régulièrement au point que mon MacBook ne la reconnaît plus. Pourquoi ? Lorsque je ne suis pas assis devant un écran ou en train de prendre des photos, je suis probablement accroché du bout des doigts au beau milieu d'une paroi rocheuse.