« Sans menstruations, pas d'êtres humains »
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« Sans menstruations, pas d'êtres humains »

Mes règles me font rarement sourire, et ce pour plusieurs raisons. Trois expertes nous expliquent les aspects positifs des menstruations et comment vivre en harmonie avec son cycle.

Alors que je cherche mes mots pour commencer cet article, mon tampon se met à fuir. Je sens le sang chaud s'écouler dans ma culotte, détrempant le tissu. Un sentiment de malaise s'empare de moi. Paniquée, je me précipite aux toilettes.

Ça y est, je tiens mon introduction.

Beaucoup d'entre vous n'ont probablement pas voulu lire ces premières lignes, trouvant ce genre d'articles choquant et « à vomir ». D'autres trouveront cela honnête, voire important, que je parle de mon quotidien en tant que personne menstruée comme s'il s'agissait d'un banal reportage. Les commentaires désobligeants sur le thème des règles ne pourraient pas être plus éloignés de mon point de vue. Mais de là à accepter mes règles comme un miracle de la nature, comme on le demande aussi souvent ? Je n'y suis pas encore. Je me situe quelque part au milieu. J'aimerais changer de perspective, essayer de considérer mes règles comme autre chose qu'un fardeau mensuel. Pour cela, j'ai demandé l'aide de trois expertes. Elles m'ont permis de comprendre comment vivre mes règles de manière (plus) positive.

Changement de perspective et phase « no bullshit »

« La façon dont on perçoit ses règles dépend en grande partie de la façon dont on y a été initié », explique la sexologue Dania Schiftan. Des réflexions pleines de pitié telles que « Oh non, ma pauvre petite » ou « C'est vraiment dégoûtant » accompagnent souvent les premiers saignements des personnes menstruées. Ce fut mon cas. « Les personnes qui n'ont jamais été éduquées sont terrifiées par ce qui arrive à leur corps. C'est une perspective négative que les personnes qui ont leurs règles se voient imposer dès leur plus jeune âge », explique D. Schiftan. La douleur, le dégoût et l'hypersensibilité sont des associations négatives très fréquemment mentionnées dans ce contexte. Sans cette perspective négative, les règles apparaissent sous un jour différent : « On n'est plus hypersensible, mais simplement sensible. Une qualité perçue comme positive et que nous considérons comme une force », explique la sexologue.

Josianne Hosner préconise également un changement de perspective. Experte du cycle menstruel, elle est l'auteure du livre « Back to the Roots – Zyklisch leben mit immenser Freude » (« Retour aux sources : vivre son cycle dans la joie »). Elle donne des cours destinés à éduquer sur le cycle menstruel, en évoquant notamment le si détesté SPM. Cette abréviation signifie « syndrome prémenstruel » et englobe les différents symptômes physiques et psychologiques, tels que les sautes d'humeur ou les douleurs, qui peuvent survenir avant les saignements. Le SPM est très souvent mentionné dans un contexte négatif.

« Cette période du cycle nous donne de la clarté et nous aide à nous concentrer. Rien à voir avec ce que l'on entend partout. C'est pourquoi je préfère l'expression de "phase no bullshit", » explique Josianne Hosner, qui a un regard très différent sur la question. Au lieu de diaboliser mes hormones, je devrais plutôt les utiliser pour effectuer un contrôle qualité de ma vie : « Les changements hormonaux peuvent vous aider à reconnaître les mauvaises situations et à sentir ce qui vous convient et ce qui ne vous convient pas. »
Selon Hosner, une menstruation plus ou moins régulière est un signe vital, au même titre que la tension artérielle, le pouls ou la température corporelle. « C'est uniquement grâce au cycle menstruel de nos mères que nous sommes là aujourd'hui. » Sans menstruations, pas d'êtres humains.

Bea Loosli est du même avis. Cette coach en contraception a fondé le portail en ligne intitulé Ladyplanet, où elle se consacre au thème « Être une femme au naturel ». Selon elle, les menstruations ont un fort symbolisme, car elles représentent l'origine de chaque être humain : « Au tout début, nous n'étions toutes qu'un ovule et un spermatozoïde. Les saignements nous rappellent que nous sommes toutes les mêmes. Notre muqueuse utérine se construit et se décompose chaque mois, dans la mesure où il n'y a pas eu de fécondation. Ce précieux terreau, sans lequel une nouvelle vie ne serait pas possible, est emporté par le sang. Les menstruations renferment une véritable force. » Et pourtant, nous considérons les saignements comme une faiblesse.

Aller avec le cycle, et non pas contre

Tout cela est très perspicace. Mais pour penser différemment à mes règles, je vais avoir besoin de pratique. À cette fin, les trois expertes me suggèrent de « vivre de manière cyclique ». L'idée est d'utiliser mon cycle à mon propre bénéfice. « Si vous acceptez et appréciez vos règles comme faisant partie de votre vie, de nouvelles possibilités s'ouvrent à vous », explique D.Schiftan.

Selon J. Hosner, le cycle d'environ quatre semaines se compose de quatre phases. Les règles en elles-mêmes ne sont que l'une d'entre elles : « Grâce aux hormones, nous ne nous sentons pas toujours les mêmes selon les phases. Cela n'est pas un inconvénient, mais bien un avantage. Nous l'avons simplement oublié », explique-t-elle. Pour illustrer ces phases, la sexologue, Dr Schiftan compare le cycle mensuel à un cercle annuel qui serait soumis à ses propres saisons. Il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus, je m'y pencherai plus en détail dans un prochain article. « Les mois "d'hiver" représentent la phase où nous devons faire plus de pauses et nous reposer. Le "printemps" intérieur apporte la créativité, tandis que "l'automne" fait ressortir les émotions. Et en "été", nous débordons d'énergie, de dynamisme et de productivité. » Cette idée est également reprise par le monde du sport féminin où l'entraînement cyclique se fait de plus en plus courant.

« Personne ne songerait à qualifier de pénible l'hibernation de l'ours. »

Dans la nature, ces phases sont évidentes. Le jour, la nuit, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Tout change, tout est en mouvement. « Personne ne songerait à qualifier de pénible l'hibernation de l'ours. Ce cycle est accepté dans le monde animal, pourquoi pas chez les humains ? »

Vivre de manière cyclique nécessite une introspection. Selon Josianne Hosner, 30 secondes de réflexion par jour peuvent déjà être utiles. Pour ce faire, on me demande de répondre aux questions suivantes : quand est-ce que j'ai beaucoup d'énergie, quand est-ce que j'en ai peu ? Quand est-ce que je dors bien, quand est-ce que je dors mal ? Quand est-ce que j'ai des fringales, des angoisses ? Quand est-ce que je ressens de la mélancolie ou du plaisir ? Quand suis-je fatiguée ou motivée à faire quelque chose ? « Observe-toi pendant plusieurs cycles. Note bien tout. À la fin, tu pourras comparer tes observations. C'est là que ça devient vraiment intéressant », explique Josianne Hosner, experte du cycle menstruel.

Les règles nous concernent tous

Selon la sexologue Dania Schiftan, si l'on veut vivre dans une société où on peut demander un tampon à table sans éprouver de honte, il faut commencer tôt : « De nombreux jeunes enfants accompagnent leurs parents aux toilettes. Les règles ne doivent pas constituer un sujet tabou. Les enfants peuvent ainsi apprendre dès le plus jeune âge que les saignements sont naturels et font partie de la vie. Selon Josianne Hosner, utiliser des phrases ludiques et explicatives peut s'avérer très utile. Par exemple : « L'utérus est la grotte confortable dans laquelle tu as grandi. Elle est en train de se nettoyer. C'est pourquoi nous allons nous mettre à l'aise aujourd'hui et demain. »

Bea Loosli convient également que la famille joue un rôle important dans ce domaine : « La famille doit donner l'exemple d'une interaction ouverte et appréciative. Cela est nécessaire pour que les règles deviennent un élément naturel de notre quotidien. Mais pour cela, les gens doivent être prêts à abandonner leurs croyances dépassées et rigides. » Par exemple, que les règles sont une affaire sale et privée : « Plus les adultes comprennent leurs propres fonctions corporelles et sont en paix avec elles, plus il leur est facile de les expliquer. Le changement commence par soi-même », ajoute Dania Schiftan.

Le rôle de l'homme est également très important, souligne J. Hosner : « Il n'y a pas de meilleur modèle pour les enfants que celui d'un homme qui dit : "Je vais m'occuper des tâches de Maman pour qu'elle puisse se reposer pendant ses règles". Les menstruations sont aussi normales que de manger, boire ou dormir. Une fois par mois, nous prenons un peu de recul – dans la douleur ou non – avant de revenir en force. Lorsque les parents donnent l'exemple, les filles et les garçons apprennent que ce n'est pas grave si nous ne sommes pas tous aussi résistants tous les jours. » Selon Dania Schiftan, la plupart des problèmes que nous rencontrons à cause du tabou sont dus à la ségrégation entre les sexes : « On a l'impression que les règles ne concernent que les personnes menstruées. Pourtant, tout le monde devrait être éduqué de la même manière. Les règles nous concernent tous. »

« Pas besoin de célébrer les règles si nous n'en avons pas envie. Mais il faut les normaliser et en parler ouvertement. »

Selon la sexologue Dania Schiftan, les tampons, serviettes et coupes menstruelles devraient également être montrés, expliqués et mis en libre accès dans des cours d'éducation sexuelle. « Actuellement, nous manquons un peu de confiance en nous. » Ces cours permettraient de discuter des sentiments de dégoût, de honte ou de dévalorisation. « Beaucoup d'enfants prépubères ne connaissent les règles que comme le liquide bleu que l'on voit dans les publicités. Mais cette représentation est bien loin de la réalité des personnes menstruées qui éprouvent de la honte. » En outre, le terme de « protection hygiénique » pour désigner tampons, serviettes et autres implique que les règles sont quelque chose de non hygiénique.

« Pas besoin de célébrer les règles si nous n'en avons pas envie. Mais il faut les normaliser et en parler ouvertement. C'est le seul moyen de faire comprendre que les pauses sont normales, et qu'elles permettent, notamment, de soulager les douleurs des règles. Mais personne n'est prêt à entendre cela dans notre société axée sur la performance », constate Josianne Hosner. Nous avons besoin de calme. Les athlètes le savent bien, après chaque marathon, il y a une phase de régénération. « Le rythme effréné de notre quotidien et la pression de performance que nous subissons sont similaires à un marathon. Sans périodes de pause, on s'épuise. Les règles sont un bon moment pour lever le pied. »

Mais à quoi pourrait ressembler un monde, dans lequel les règles ne seraient plus seulement évoquées en chuchotant derrière des portes closes ?

Une expérience de pensée

« Je me souviens d'une publicité de la marque de serviettes Always où la protagoniste déclare vouloir toujours se donner à 100 %, même lorsqu'elle a ses règles. Voilà notre réalité. Si nous vivions dans une société où les règles ne font pas l'objet de tabous et de dévalorisations, nous pourrions tenir compte des différences et des phases cycliques au lieu d'essayer de les cacher », explique D. Schiftan. Elle poursuit en expliquant que dans la vie privée, à l'école et au travail, il serait normal que les femmes accomplissent des performances différentes selon la phase de leur cycle et qu'elles soient jugées en conséquence. Cette flexibilité permettrait en outre aux personnes menstruées de se sentir plus à l'aise.

« Il y aurait moins de pauvreté dans un tel monde. »

La honte ferait également partie du passé. Selon J. Hosner, tout cela nous aiderait à mieux aimer notre corps et à gagner en confiance. « Nous n'aurions plus à entendre des remarques désobligeantes du genre "Encore de mauvaise humeur, tu as tes règles ou quoi ?" Je suis également convaincue que vivre de manière cyclique, c'est-à-dire vivre au quotidien en pleine conscience des quatre phases de cycle, permettrait d'éviter de nombreux burnouts. Sur le plan global, cela permettrait également de réduire la pauvreté, car de nombreuses filles abandonnent l'école dès qu'elles ont leurs premières règles, surtout dans les régions les plus pauvres. D'abord elles n'ont pas accès aux protections périodiques, et par la suite elles manqueront de perspectives professionnelles. C'est un cercle sans fin. »

Il reste encore de nombreuses petites étapes à franchir avant de parvenir à une telle réalité. Dans leur ensemble, toutes ces étapes permettent de faire une différence. Pour ma part, je vais me consacrer à la « vie cyclique ». Je vous ferai part de mes conclusions et de mes progrès dans de prochains articles. Le livre de Josianne Hosner sur le sujet est déjà sur ma table de chevet...

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En tant que fan de Disney je vois toujours la vie en rose, je vénère les séries des années 90 et les sirènes font partie de ma religion. Quand je ne danse pas sous une pluie de paillettes, on me trouve à des soirées pyjama ou devant ma coiffeuse. PS Le lard est un de mes aliments favoris. 


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