Sur les traces de la course à pied : la marche dans un laboratoire d'analyse du mouvement
Je veux en apprendre davantage sur la démarche humaine et je sais où il faut me rendre pour cela : dans les détails. Les experts de l'analyse du mouvement de Zurich à la clinique universitaire de Balgrist m'aident dans cette tâche. L'histoire d'un premier pas et de ses conséquences.
Mark Huybrechts place marqueur sur marqueur. Le physiothérapeute touche mes os et mes articulations, rase les derniers poils de la peau de mon tibia, fait des lignes au feutre vert et remonte des pieds jusqu'aux épaules pour coller 53 billes réfléchissantes. On me mesure, me pèse, me fait bouger, me photographie et me pose des questions. 16 électrodes enregistrent chaque contraction musculaire.
Des plateformes de force cachées attendent d'être foulées, tandis que des caméras standard et infrarouges enregistrent chaque mouvement. Devant moi se trouvent seulement dix mètres de sol gris souris, une ligne blanche et des balises colorées. Et pourtant, je ne sais pas où tout cela va me mener ; certainement à de nouvelles connaissances et, une semaine plus tard, lors du débriefing, à des adjectifs irritants.
Ça va bien, non ?
Je suis au laboratoire d'analyse du mouvement de l'hôpital universitaire Balgrist, où le physiothérapeute Mark Huybrechts, la spécialiste en sciences du sport Dr Gerda Strutzenberger et le médecin-chef Prof. Johannes Scherr analysent quelque chose d'aussi individuel que notre empreinte digitale, la démarche. Chaque schéma de mouvements est unique. Et à chaque pas, il se passe tellement de choses dans le corps que cette belle interaction s'apparente à un petit miracle. Étonnamment, nous prenons cela pour acquis. À la question « Comment ça va ? » personne ne pense au verbe aller dans le contexte de la marche. C'est une phrase courante pour commencer une conversation banale. Et la réponse est généralement « bien », même si ce n'est pas vrai.
Tout comme nous nous efforçons de sauver les apparences, notre corps dissimule lui aussi les problèmes qui surgissent. Il maintient l'équilibre, redistribue les charges et s'efforce de faire fonctionner le système jusqu'à ce que cela ne soit plus possible. La douloureuse vérité est que même chez les coureurs amateurs, les surcharges ou les blessures sont plutôt courantes et non une exception. Beaucoup abandonnent le sport pour cette raison. Je n'en suis pas encore là. Mais je sais qu'il y a des choses qui ne vont pas chez moi. Mais je réponds tout de même « bien » quand M. Huybrechts et Mme Strutzenberger me saluent et me demande « Comment ça va, Michael ? ». L'avenir nous le dira...
Dans les startingblocks
C'est une quête personnelle dans laquelle je souhaite vous emmener dans les mois à venir. Il s'agit d'en apprendre davantage sur la manière dont les choses sont liées. Que vous fassiez du sport ou non ; la démarche nous concerne tous. Il est bon de savoir où les problèmes peuvent survenir et comment ils se manifestent. C'est pourquoi je me présente aujourd'hui en tant que cobaye. Les données seront un point de départ pour approfondir des thèmes liés à la course à pied. Les questions ne manquent pas : Que se passe-t-il au niveau du pied, du genou, de la hanche ? Qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Qu'est-ce qui peut être entraîné ? La démarche parfaite existe-t-elle ? Et si oui, à quoi ressemble-t-elle ?
Le professeur Scherr s'éloigne très vite de cette vision idéale. « Si quelqu'un a une démarche optimale, cela ne signifie pas pour autant qu'il marche ou court de manière optimale », explique le directeur du centre universitaire de prévention et de médecine du sport de l'hôpital universitaire Balgrist. Cela dépend toujours du groupe de référence et des défis respectifs. « D'un point de vue biomécanique, Usain Bolt est un sprinter qui se rapproche de la perfection. » Mais rien que pour un coureur de haies, les conditions nécessaires sont déjà légèrement différentes.
Il n'y aura pas de réponses simples. Les rapports sont trop complexes. En revanche, ma première tâche est claire et simple : « Commencez à marcher », demande une voix d'ordinateur monotone.
Diagnostic : une pièce du puzzle
Il ne faut qu'une dizaine d'étapes pour me transformer en modèle. Nombreux sont les aller et retour que je dois effectuer dans cette pièce austère remplie de caméras. Le résultat ? Une collection de données qui s'accroît à chaque mouvement. Ma référence n'est pas Usain Bolt, mais la population « normale ». Une bonne moyenne qui me permettra de savoir où j'en suis.
Le fait que mon anatomie prenne une tournure singulière en dessous des genoux est tellement évident que le premier constat de Gerda Strutzenberger ne me surprend pas face à mon avatar sur les écrans : « On voit bien que tu as les jambes arquées. »
Pour parvenir à cette conclusion, il n'est pas nécessaire de disposer de marqueurs et de capteurs, ni de modèles 3D des axes du corps. Mais il faut tout ce matériel pour comprendre les relations et pour mesurer ce que cela signifie dans la marche. « Avec cela je peux me faire une image globale et prendre en compte l'enchaînement de mouvements dans son ensemble », explique Gerda Strutzenberger. « Une vidéo seule ne pourrait pas montrer la charge interne. »
Dans le diagnostic, l'analyse du mouvement est une pièce du puzzle. Cette dernière rendra visibles les forces et leurs conséquences qui ne sont pas visibles à l'œil nu. « Le grand avantage réside dans la combinaison avec d'autres méthodes », ajoute Mark Huybrechts. Une IRM ou une radiographie met en évidence les problèmes structurels, l'analyse des mouvements montre ce que cela signifie pour l'ensemble du système. Les personnes souffrant de malformations ou de blessures en profitent tout autant que les professionnels du sport à la recherche d'un potentiel d'optimisation.
Marche normalement
Sur les écrans, mon corps est recouvert de lignes vertes, rouges, bleues et jaunes, marquant la position des marqueurs. Dans une autre vue, je ne fais que danser sous forme de points colorés dans un espace noir quadrillé. À cela s'ajoutent les données sur l'activité musculaire qui défilent sur les écrans de Gerda Strutzenberger.
Mark Huybrechts est là pour s'assurer que tout, à l'extérieur de mon corps fonctionne. Il ajuste les réflecteurs, optimise la position des capteurs et m'entraîne à marcher à mes côtés. « Nous cherchons maintenant la meilleure position de départ », me dit le physiothérapeute et spécialiste en neuro-orthopédie, qui me donne des instructions avec calme et gentillesse. « Rends-toi sur la ligne bleue et prends la ligne blanche entre tes pieds. Ensuite tu pourras commencer à marcher à une vitesse normale. »
Normale... mais qu'est ce qu'on entend par « normale » ? L'ambiance est certes détendue, mais je suis en caleçon, couvert de billes et de capteurs, devant des caméras et je dois suivre une ligne au sol sous le regard attentif de tous. Chaque pas devient alors un exercice intellectuel et déstabilise le cobaye. « Au début, les patients marchent généralement de manière hésitante », explique Gerda Strutzenberger, « mais nous voulons reproduire l'image d'une marche normale, ce qui nécessite un petit temps d'adaptation ». Ce n'est qu'alors que les données ont une vraie valeur.
Un corps calibré
Je ne comprends la plupart des choses qu'ils me font qu'après coup. Le système n'est pas la seule chose à devoir être calibré au début, moi aussi. Pendant que je m'habitue à marcher dans le costume à billes, je suis dirigée de telle sorte que je marche inconsciemment sur les plaques de mesure de force dans le sol. Elles montreront la charge que doivent supporter mes pieds. Plus j'y passe, plus la base de données s'étoffe.
« Nous essayons d'obtenir entre cinq et huit empreintes par pied, afin de pouvoir ensuite calculer une valeur moyenne pour chaque côté », me confiera Gerda Strutzenberger par la suite. Je suis pris en charge de la plante des pieds au haut du corps. Cela permet d'avoir une vision globale de ma démarche. Au bout d'un moment, la routine s'installe, je marche de manière régulière et je ne frotte plus, par inadvertance, les marqueurs qui dépassent de mes jambes comme une antenne latérale, sur le pied de chaise voisine. Ces derniers sont placés aux bons endroits, les pas aussi ; la mesure proprement dite peut enfin commencer. Une grande partie du travail réside dans une préparation parfaite.
Vu de l'extérieur, ces allers-retours n'ont rien de spectaculaire. Contrairement aux données obtenues, qui elles le sont. « Avant, il aurait fallu une semaine pour saisir tout cela », explique Gerda Strutzenberger. Après environ une heure et demie, elle me dit : « Nous allons maintenant mesurer les signaux de tes muscles au repos pendant trois secondes » et trois secondes plus tard, en riant : « La détente est déjà terminée, merci ! Nous n'avons pas beaucoup de temps pour cela ! » Nous avons encore du pain sur la planche, les données représentent beaucoup de travail. Une semaine plus tard, je saurais comment elles auront été interprétées. Sans billes collées au corps, mais avec un rythme cardiaque légèrement plus élevé.
Oh, les jambes
« Lorsque nous discutons du visuel, cela devient passionnant », explique le médecin-chef Johannes Scherr. Et précise en souriant : « Ou intéressant... c'est ce qu'on dit généralement au restaurant quand un plat n'avait pas vraiment le goût attendu. »
Ce que l'on me sert ensuite est une série de constatations, dont seule la première ne me surprend absolument pas. « La forme de tes jambes s'appelle Genu Varum ». Je sais cela. Cette déformation décrit mes jambes arquées qui bouleversent toute la statique.
Le regard d'expert sur mon anatomie à l'aide d'images et de données qui rendent visibles des choses moins évidentes est plus surprenant. « C'est ton cycle de marche que nous décomposons et comparons à la norme », montre Gerda Strutzenberger sur son écran. « Ici, tu as le pied au sol, c'est la phase d'appui, là, la jambe est en l'air, c'est la phase oscillante», explique-t-elle, en suivant les lignes rouges et bleues qui représentent ma jambe gauche et ma jambe droite. Dans certains domaines, ils suivent la norme, dans d'autres, ils s'en écartent énormément. Même dans des parties du corps que je n'avais pas remarquées jusqu'à présent.
« Comme tu as cette flexion dans le genou, ta cheville est légèrement en extension dorsale », indique Gerda Sturzenberger et Johannes Scherr traduit : « Comme ton genou est fléchi, ton tibia est légèrement incliné vers l'avant ». J'apprends que je ne peux complètement tendre ma jambe, les conséquences que cela engendre et tout le reste qui ne va pas ; de l'asymétrie du bassin jusqu'aux pieds, qui sont tout de même très creusés. Le fait qu'ils se déroulent sur le bord extérieur est logique en raison de la courbure des tibias, car « dans la chaîne du mouvement, tout est lié ». C'est une synergie entre muscles, os, nerfs, tendons et articulations.
Un muscle doit en faire les frais
Le fait que mes jambes soient encore en un morceau m'étonne, car la charge dans les genoux est extrêmement élevée : « C'est justement dans la première moitié de la phase d'appui que tu as une charge très élevée », montre Gerda Strutzenberger. Les lignes bleues et rouges sont bien en dehors du spectre de la norme. Lorsque ma jambe touche le sol, mon genou est exposé à de gros couples. Cela a des conséquences : « Le muscle de la cuisse est extrêmement développé au milieu, car le corps essaie d'amortir cette charge », explique Johannes Scherr. En fait, c'est comme si quelqu'un avait construit une figurine qui ne peut pas vraiment tenir debout, mais l'avait ficelée d'une certaine manière avec du ruban adhésif. Ce n'est pas vraiment idéal. Heureusement que le corps est assez intelligent pour développer la musculature aux endroits critiques.
Alors que je remonte mentalement de l'homme moderne à l'homme de Néandertal sur le fameux graphique de la théorie de l'évolution, je dois faire face à une autre mauvaise nouvelle : « Une articulation de la hanche peut effectuer une rotation moyenne vers l'intérieur et l'extérieur d'environ 90 degrés », explique Mark Huybrechts. « Sur ton côté gauche, tu as une mobilité d'environ 20 à 15 degrés ; c'est assez spécial. »
Encore un adjectif poli. « Il y a probablement des raisons structurelles », conclut Johannes Scherr, « c'est pourquoi je trouve étonnant que tu n'ai pas eu de douleurs jusqu'à présent en marchant ». L'analyse continue dans ce style un moment, le temps de passer de la hanche jusqu'à la voûte plantaire. J'ai l'impression de vraiment commencer mes jambes après 40 ans.
Never change a running system
Intéressant, spécial, étonnant ; en tant que cobaye, j'aimerais maintenant changer d'industrie, sauter dans un cylindre et me laisser transformer. Scherr pense plutôt à l'astuce de la scie. Quoi qu'il se passe au niveau de la hanche, le problème principal est la charge du genou. Il explique ce qui se passe lors d'une ostéotomie correctrice : « Un coin osseux est enlevé du tibia pour corriger la malposition anatomique. » Cette procédure est soit faite à un jeune âge, soit lorsque des douleurs chroniques apparaissent à l'âge adulte. Ce n'est pas encore le cas pour moi.
« À l'heure actuelle, c'est un système plus ou moins stable », me rassure le médecin-chef, « et comme on dit si bien en anglais : never change a running system. » Je suis un Windows XP humanisé, à peu près stable et j'attends que le système plante. Pour le moment il fonctionne. Certes, avec des hanches raides et des jambes arquées, mais il fonctionne. C'est ce que je disais : la bipédie humaine tient du miracle. Pas seulement la mienne, mais en général. Entrer dans les détails en vaut la peine, s'intéresser aux structures impliquées, s'entraîner, corriger et informer les troubles courants. C'est ce que je souhaite faire, pas à pas, avec les experts du Centre de médecine du sport. À commencer par les pieds, une partie du corps souvent négligée qui joue un rôle prépondérant.
Scientifique dans le domaine du sport, père haute performance et télétravailleur au service de Sa Majesté la tortue.