
Une nouveauté NES en 2025, vraiment ? Interview avec les créateurs de « Angry Video Game Nerd 8-bit »
« Angry Video Game Nerd 8-bit » est un nouveau jeu pour la console originelle de Nintendo, qui a plus de 40 ans. Le game designer Elie Platt nous explique le pourquoi du comment et les difficultés rencontrées.
Il y a beaucoup de jeux pour la NES, 1524 pour être exact. Et personne ne les connaît mieux qu’Angry Video Game Nerd. James Rolfe, de son vrai nom, revient avec humour sur 20 ans de jeux rétro « pourris ». Son troisième jeu, créé en collaboration avec Mega Cat Studio, est sur le point de sortir. La particularité d’Angry Video Game Nerd 8-bit est qu’il sortira sur NES.
Comment développer des jeux pour une console rétro à module carte de nos jours ? Et pourquoi s’imposer ces restrictions ? Elie Platt, game designer chez Mega Cat Studios, m’explique tout ça.
Pourquoi développez-vous encore un jeu pour la NES en 2025 ?
Elie Platt, game designer : Cela faisait des années qu’on parlait d’un projet commun avec les gars de Screenwave (éditeur des contenus AVGN, ndlr). Nous habitons dans la même région et vivons dans le secteur du fan service rétro. La collaboration s’est enfin concrétisée. Si quelqu’un mérite d’être cité pour son travail et ses efforts consacrés à un nouveau jeu NES, c’est bien James, le seul et unique AVGN. Il a inspiré des générations entières et ouvert la voie à de nombreux youtubeurs rétro.
De quoi parle le jeu ?
Nous voulions construire une histoire un peu plus étoffée autour du jeu. C’est un peu méta : Angry Video Game Nerd est catapulté dans d’anciens jeux. S’ensuit alors une parodie de sa carrière et de tous les jeux qui lui ont posé problème. Pour s’en sortir, il doit lutter depuis l’intérieur du système.
Quel était le degré de coopération entre vous et James Rolfe, alias Angry Video Game Nerd ?
Quasiment tout est passé par Justin Silverman, le directeur créatif de Retroware, qui co-développe et édite le jeu. C’est lui qui a décidé ce que James pouvait ou ne pouvait pas faire ou ce qui ne collait pas avec sa personnalité. De son côté, James réalisait son émission Angry Video Game Nerd et menait à bien tous ses autres projets, il n’avait pas le temps d’être tout le temps sur le pont. Il a toutefois consulté toutes les mises à jour en donnant son avis.
Avez-vous intégré des clichés issus des vidéos Angry Video Game Nerd, comme le retour déséquilibré des tirs ou des couleurs d’arrière-plan qui rendent le niveau difficile à lire ?
Pas consciemment. Il y a certainement des choses dans ce goût, mais elles sont principalement dues aux limites techniques de la NES. Comme les sections de défilement vertical que nous faisons défiler écran par écran. Dès qu’on atteint le haut de l’écran, le jeu passe à l’écran suivant. Il peut donc arriver que l’image défile vers le haut au pire moment et te fasse tomber. Il y a plein de choses comme ça qui étaient en fait dues aux possibilités du système et pas nécessairement des erreurs de conception.

Source : Retroware
Comme pour la palette de couleurs.
Exactement. C’est pour ça que dans les vieux jeux, on voit souvent la moitié basse du visage changer de couleur lors de mouvements de tête. C’est parce que la tête passe à la zone de couleur suivante. Aujourd’hui, nous disposons d’outils modernes qui nous permettent de visualiser tout ça. Mais à l’époque, on programmait en assembleur sans éditeur de niveaux graphiques.
Vous n’utilisez plus du tout le langage d’assemblage ?
Non, plus besoin d’assembleur, même si cela reste la meilleure méthode de gestion de la mémoire. Aujourd’hui, les compilateurs C et consorts rationalisent le processus. Le temps nécessaire est ainsi divisé par deux.

Source : Retroware
Alors, vous n’utilisez pas non plus de moteur en particulier ?
Non. Nous créons les niveaux en mélangeant plusieurs outils. Certains servent à compter les tuiles par exemple. Il existe un moteur qui n’est pas vraiment un moteur de jeu pour la NES, mais qui exporte des fichiers pour les déplacer via le compilateur C. On peut donc faire presque tout ce que l’on veut à partir d’une structure NES rigide tant que l’on se tient aux formats de fichiers.
On dirait que la programmation de jeux NES est complètement différente d’autrefois ?
Dans l’ensemble, oui. Aujourd’hui, nous émulons la NES. Cela permet d’afficher 99 % des erreurs présentes. Ce n’est qu’à la fin que nous effectuons les tests matériels proprement dits et que nous résolvons les derniers problèmes causés par l’émulateur.
Le plus intéressant, c’est de réfléchir à ce qu’on peut faire dans le cadre de ces limites.
Est-ce que vous avez été confrontés aux mêmes limites qu’autrefois ou les nouvelles techniques permettent-elles de produire de meilleurs graphismes, de développer des jeux plus grands, etc. ?
Dans la plupart des cas, les mêmes restrictions s’appliquent, mais nous possédons des outils bien plus puissants. J’ai mon niveau sous les yeux pendant que je travaille dessus. Je n’ai pas besoin d’attendre que quelqu’un flashe chaque modification sur une cartouche pour la tester. Parallèlement, l’utilisation des compilateurs C et autres est moins efficace. Dans beaucoup de cas, on pourrait résoudre un problème en langage d’assemblage si on y consacrait beaucoup de temps. D’une certaine manière, il y a plus de contraintes aujourd’hui, mais comme les outils sont plus performants, nous pouvons nous y adapter plus rapidement.

Source : Retroware
« Angry Video Game Nerd 8-bit » sort simultanément sur PC et sur consoles modernes. Quelle est la plateforme de développement principale ?
Dans ce cas, nous avons commencé par la version NES. Le processus peut s’envisager de différentes façons. On peut commencer par la version PC, garder la NES dans un coin de sa tête et sortir une version allégée. Mais toutes les différences seront alors des concessions. Alors que si on commence par la plateforme la plus faible, comme la NES, on est certain d’avoir le meilleur jeu possible sur celle-ci et tout ce qu’on réalise pour les autres plateformes est un bonus.
Les limites de la NES sont-elles plutôt libératrices ou contraignantes ?
Moi, j’aime bien, même si je me dis parfois : « Ah, si seulement on avait un adversaire ou un truc en plus ». Le plus intéressant, c’est de réfléchir à ce qu’on peut faire dans le cadre de ces limites. Par exemple, je n’ai que quatre couleurs. Je préfère bidouiller avec le dithering (la création d’une nuance de profondeur, ndlr) que me plaindre de ne pas avoir cinq couleurs.
Les jeunes du bureau ont trouvé le jeu trop dur et les anciens trop faciles.
As-tu parfois eu envie de travailler avec du matériel plus puissant parce que la NES ne pouvait pas faire ce que tu voulais ?
Très souvent avec les boss, oui. Les combats contre les boss sont devenus de plus en plus grandioses et intéressants ces dernières années. Quand tu retrouves la NES et essaies de créer un boss cool qui occupe la moitié de l’écran, c’est l’échec assuré parce que le sprite (un objet graphique, ndlr) ne peut pas avoir cette taille. Certes, on peut le bricoler à partir d’une tuile d’arrière-plan, mais on se prive alors d’un autre arrière-plan, car la limite des tuiles est atteinte. Si je veux vraiment agrandir le sprite du boss, je dois sacrifier tout le reste.

Source : Retroware
Et comment surmontes-tu ce genre de problème ?
L’espace sur la cartouche est limité. Cela vaut aussi pour les adversaires et tout le reste. Si tu les animes et que tu veux qu’ils hochent de la tête, il est probable que tu ne puisses en mettre que deux ou trois par niveau. Sinon, ils prendraient trop de place sur une tuile. S’ils sont juste assis et tirent un projectile, le projectile se déplace, mais il n’est pas vraiment animé. On peut donc mettre huit ou neuf adversaires sur le même terrain. On peut contourner quasiment tous les problèmes.
Que vous ont appris les vieux jeux NES ? Quels aspects vouliez-vous conserver et quelles erreurs vouliez-vous éviter à tout prix ?
Une des choses les plus ardues est d’obtenir un niveau de difficulté équilibré. Plein de vieux jeux sont beaucoup plus durs que ce à quoi les gens sont habitués aujourd’hui. Mais nous tenions à cet aspect. Parfois, le jeu était horriblement compliqué. Et parfois, il était tellement simple qu’on le survolait. On a donc opté pour plusieurs niveaux de difficulté. On a tout prévu, de : « Je veux juste jouer rapidos » à : « Si je suis touché, je recommence à 0 ». Comme ça, tout le monde trouve un degré de difficulté qui lui convient, quelle que soit leur génération.

Source : Retroware
Y a-t-il eu beaucoup de discussions en interne sur la difficulté à donner au jeu ?
Quand j’ai rejoint le projet, le jeu était beaucoup plus difficile que maintenant. J’ai déplacé quelques éléments, ajouté quelques plateformes, supprimé quelques ennemis, etc. J’ai pas mal abaissé le degré de difficulté pour l’amener à son niveau actuel. Nous avons beaucoup de jeunes au bureau et ils l’ont trouvé encore trop dur. Les anciens, eux, se plaignaient que c’était désormais trop facile. Finalement, nous avons laissé les choses en l’état et avons ajouté après coup des modes plus difficiles et plus faciles.
J’ai déjà vu des jeux modernes développés pour de vieilles consoles qui avaient l’air beaucoup trop beaux pour avoir été conçus à l’époque. Cette impression est-elle trompeuse ou est-il vraiment possible de créer des jeux rétro de meilleure qualité aujourd’hui ?
La Sega Mega Drive et la Super Nintendo disposent d’un support pour des puces d’accélération supplémentaires dans les modules. Plusieurs jeux s’en servaient, notamment Paprium sur Mega Drive. Cela permet de faire tout un tas de choses dont la Mega Drive est en réalité incapable. Bon, le jeu coûte aussi 200 dollars à cause des puces additionnelles, parce que tu achètes en fait une nouvelle console dans le module.

Source : Retroware
Y a-t-il quelque chose dans le jeu dont tu es particulièrement fier ?
J’ai beaucoup travaillé sur les arrière-plans des niveaux « Victorian », « Swordquest » et « System ». Lorsque j’ai vu les sections de ciel pour la première fois, elles étaient toutes monochromes et n’avaient que des briques en arrière-plan. Je les ai transformées en un château volant en morceaux, avec plein de trous dans les murs et des nuages. J’ai aussi eu l’idée de changer la palette de couleurs au fur et à mesure des niveaux. On voit ainsi que l’on progresse et ça aide lorsque le chemin bifurque.
Le dernier niveau contient la créature « Glitch ». Là, j’ai fait exprès de mal faire l’arrière-plan, on dirait que la cartouche est cassée. Plus tu avances, plus le niveau se désintègre. À la fin, il ne reste qu’un sol plat qu’on ne voit même plus vraiment. Tout l’arrière-plan est détruit et disloqué.

Source : Retroware
Es-tu curieux de savoir ce qu’Angry Video Game Nerd dira du jeu si James fait un épisode dessus ?
C’est assez marrant, quand on y pense. D’une certaine manière, il a transformé de mauvais jeux vidéo en bons jeux, parce que les gens y rejouent après avoir vu ses vidéos YouTube, qui comptent des centaines de milliers de vues, souvent même des millions. James en fait quelque chose de captivant par le biais de l’humour. Ces mauvais jeux sont parfois plus populaires que certains bons jeux. On verra bien ce qu’il pense de notre travail.
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En tant que fou de jeu et de gadgets, je suis dans mon élément chez digitec et Galaxus. Quand je ne suis pas comme Tim Taylor à bidouiller mon PC ou en train de parler de jeux dans mon Podcast http://www.onemorelevel.ch, j’aime bien me poser sur mon biclou et trouver quelques bons trails. Je comble mes besoins culturels avec une petite mousse et des conversations profondes lors des matchs souvent très frustrants du FC Winterthour.