Ah, les frères et sœurs...
Les relations entre frères et sœurs sont souvent celles qui durent le plus longtemps. Mais ces dernières ne sont pas nécessairement marquées par l'amour ; la rivalité et la jalousie peuvent être tout aussi présentes. Pourquoi est-ce le cas et comment les parents gèrent-ils cela ? Une experte nous répond.
Ma sœur et moi, on se connaît, on s'apprécie et on s'aime depuis 42 ans... Attendez. Avons-nous vraiment appris à nous aimer ? (Au sens platonique du terme, bien sûr). Oui, elle compte beaucoup pour moi. Et même si nous nous sommes éloignés avec le temps, je suis toujours heureux de la voir, elle et sa famille. Ma sœur ressent-elle la même chose ? Son enfance n'a pas été toute rose, sans doute en raison de ma jalousie envers cette petite sœur de 2 ans ma cadette que je me faisais un plaisir de taquiner.
Nous sommes en effet nombreux à pouvoir raconter comment nous avons tourmenté une sœur ou un frère, ou, au contraire, comment ces derniers nous ont embêtés. Poussette « accidentellement » tombée dans les escaliers, jouet préféré mystérieusement disparu ou poster de Backstreet arraché du mur comme par magie sont autant d'exemples. La jalousie entre frères et sœurs entraîne souvent des crises de colère, de la méchanceté ou encore de l'indifférence. Des conséquences à garder à l'esprit pour les parents.
Maya Risch, conseillère en éducation et mère de deux fils adolescents, nous révèle les tenants et aboutissants de la jalousie entre frères et sœurs et s'il existe des configurations de frères et sœurs plus ou moins susceptibles à la jalousie.
Madame Risch, avez-vous des frères et sœurs et si oui, comment cela a-t-il influencé votre enfance ?
Maya Risch : j'ai une sœur qui a 3 ans de moins que moi. Je me souviens très bien que j'étais parfois jalouse d'elle et qu'il nous arrivait de nous disputer à ce sujet. Je me souviens aussi très bien que notre mère ne supportait pas ces disputes et voulait à tout prix les faire cesser. Je me suis souvent entendu dire : « tu es l'aînée, sois raisonnable ». Je trouvais ça injuste et ça ne faisait qu'alimenter ma jalousie. J'avais souvent l'impression que ma sœur était la petite préférée et que l'on attendait de moi que je sois gentille avec elle. Mais c'est plutôt le contraire qui s'est produit, et j'ai commencé à embêter ma sœur dans le dos de mes parents.
Quelle est votre relation avec votre sœur aujourd'hui ? La jalousie est-elle encore présente ?
Non, je ne pense pas. Nous avons toutes les deux choisi un mode de vie assez différent. Nous gardons le contact, même s'il n'est pas très étroit aujourd'hui.
Existe-t-il des configurations plus ou moins favorables qui ont un impact sur l'expression de la jalousie ?
C'est une bonne question, beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet. On dit souvent que la jalousie entre frères et sœurs de même sexe est plus prononcée qu'entre une fille et un garçon, ou encore que les frères et sœurs ayant une petite différence d'âge sont plus jaloux les uns des autres.
Vous dites « on dit ». Votre expérience est différente ?
Oui. Je pense qu'en fin de compte, l'intensité de la jalousie dépend des individus et de la manière dont leur entourage interagit avec eux. Par exemple, un de mes amis avait déjà un fils de 8 ans lorsqu'il a eu une fille. Pour ce fils, il a été extrêmement difficile d'avoir soudain une petite princesse à côté de lui, malgré la grande différence d'âge.
En parlant de partager sa place : est-il très important de préparer l'aîné à l'arrivée d'un petit frère ou d'une petite sœur ?
Tout à fait. Les parents y font souvent très attention et veillent notamment à la capacité de compréhension de l'aîné. Mais si nous, parents, ne savons déjà pas quel sera l'impact de l'arrivée du deuxième enfant sur la vie de famille, comment un jeune enfant peut-il l'évaluer ? Une fois que le bébé est là, il est recommandé d'intégrer l'aîné dans les activités. Il peut par exemple aider à s'occuper du bébé. Mais attention, si l'aîné se comporte de manière un peu brutale avec le bébé, cela ne signifie pas pour autant qu'il est jaloux. Les enfants en bas âge n'ont souvent pas encore le sens des limites et ont besoin d'être accompagnés avec amour et guidés dans leurs relations avec le bébé. Mais les parents ne sont pas les seuls à pouvoir contribuer à ce que leur aîné soit moins jaloux.
Qui d'autre ?
Le reste des proches peuvent également aider. Par exemple, en se tournant d'abord vers l'aîné lorsqu'ils rendent visite à la famille, au lieu de se diriger automatiquement vers le bébé et de lui accorder toute leur attention. Si le frère ou la sœur aîné·e doit voir jour après jour toute l'attention se porter sur l'autre enfant, il est tout à fait normal qu'il ou elle se sente relégué·e au second rang.
À quel âge la jalousie entre frères et sœurs est-elle généralement la plus prononcée ?
Il n'y a pas vraiment de règle générale. Prenons l'exemple de mes deux fils, nés à trois ans d'intervalle. Au début, l'aîné était très content, très intéressé et affectueux. Ce n'est que lorsque le petit a commencé à marcher que la jalousie s'est manifestée. Mon aîné a en effet réalisé que sa propre autonomie et son espace, voire ses jouets, étaient menacés.
D'où vient cette jalousie entre frères et sœurs ?
Elle peut avoir de nombreuses causes. Concrètement, c'est aussi une question de ressources des parents qui, au moment de la naissance de leurs enfants, se retrouvent parfois dans une toute nouvelle situation qu'ils vont peut-être avoir du mal à gérer. Cela devient souvent un défi lorsque le deuxième enfant devient soudain plus rapide, plus intelligent ou plus courageux et menace ainsi de bouleverser la hiérarchie naturelle. Et bien sûr, c'est toujours un changement extrême pour l'aîné lorsqu'il doit soudainement tout partager avec un frère ou une sœur. Feu le thérapeute familial Jesper Juul l'explique ainsi : imaginez un homme dont la femme ramène soudain un deuxième homme à la maison et lui dit : « C'est Pierre, il habite ici maintenant. Je vous aime tous les deux de la même manière, alors accueille-le comme il se doit. » C'est un peu comme ça que les aînés vivent l'arrivée de leur frère ou de leur sœur.
Les frères et sœurs se chamaillent régulièrement et c'est normal. En quoi un bon niveau de friction et de rivalité est-il bénéfique pour les frères et sœurs ?
Les disputes et les conflits, dus aussi à la jalousie, sont une grande chance pour les frères et sœurs. Ils leur apprennent à s'imposer et à fixer des limites. On ne choisit pas ses frères et sœurs, c'est pourquoi les parents ne devraient pas automatiquement partir du principe que leurs enfants doivent et vont s'aimer particulièrement. Mais c'est justement parce que la relation entre frères et sœurs est simplement donnée que cela leur permet d'aller parfois au-delà des limites. Car quelle que soit la violence de la dispute ou de l'altercation, la relation perdurera malgré tout. Parfois, mes garçons se disputaient si violemment et je trouvais qu'ils allaient beaucoup trop loin. Mais quand je leur demandais si tout allait bien, ils me répondaient souvent que oui. Chez les garçons, les conflits sont souvent physiques, chez les filles plutôt verbaux. Pour moi qui ai grandi avec une sœur, il n'a pas toujours été facile d'évaluer correctement si et quand je devais intervenir lors d'une dispute entre mes garçons.
Cela nous amène à la question suivante : quand est-il opportun, en tant que parents, d'intervenir dans un conflit ou de contrer un schéma de jalousie ?
Comme partout dans l'éducation, il est essentiel de verbaliser et de nommer les choses. J'entends souvent des personnes âgées, mais aussi des professionnels, dire qu'autrefois, il n'y avait tout simplement pas de mots pour exprimer la jalousie et de nombreux autres sentiments dans la vie de famille. Reconnaître que la jalousie existe entre frères et sœurs, c'est déjà un grand pas. Une fois que les parents en sont conscients, ils se rendent compte que des phrases comme « laisse ton petit frère tranquille » ou « ne fais pas ça, tu dois donner l'exemple à ta petite sœur » ne sont pas efficaces.
Les comparaisons sont de toute façon à proscrire, si l'on ne veut pas attiser la jalousie entre ses enfants ?
Absolument. Les parents devraient plutôt essayer de percevoir chaque enfant comme un individu, avec toutes ses forces et ses faiblesses, et s'abstenir de faire des comparaisons. Il y a autre chose que les parents devraient éviter.
Quoi donc ?
Essayer d'être l'arbitre d'une dispute ou d'un conflit. Les parents ne peuvent pas vraiment être objectifs dans une dispute, car nous ne voyons presque jamais tout ce qui a précédé une dispute. Elle est souvent le signe que les deux enfants sont souvent en détresse et ne savent plus quoi faire. Il faut plutôt s'intéresser honnêtement aux enfants et montrer de l'empathie pour les deux. Les enfants ont besoin d'être accompagnés pour réguler leurs émotions fortes.
Avez-vous des conseils concrets sur ce qu'il faut faire si, par exemple, un enfant a toujours l'impression d'être laissé pour compte ou d'avoir toujours la plus petite part du gâteau ?
Récemment, une grand-mère a participé à un atelier que j'ai organisé. Elle m'a raconté que son petit-fils aîné était jaloux du plus jeune et ne le laissait pas jouer avec ses jouets. Elle a alors pris le plus grand à part et lui a demandé, selon lui, pour quels jouets il était déjà trop grand et s'il pouvait éventuellement les partager. Il a ensuite mis une partie de ses jouets dans une boîte pour le plus petit. En prenant cette jalousie au sérieux, cette grand-mère a su aider son petit-fils.
Il suffit donc de parler aux enfants ?
Oui et non. En cas de jalousie, les arguments logiques ne sont généralement pas efficaces, car trop d'émotions sont en jeu. La jalousie est toujours subjective et émotionnelle. Récemment, j'ai entendu une bonne blague à ce sujet. Une mère divise un morceau de gâteau exactement en deux parts égales et les donne à ses deux garçons. L'aîné dit : « c'est pas juste, les deux parts sont de la même taille. » Parfois, ce sont des « petites » choses qui rendent les enfants jaloux. Un exemple : pendant un certain temps, je mettais toujours notre petit dernier au lit en premier. L'aîné en fut jaloux, mais n'arrivait pas à exprimer ce qui le dérangeait. Ce n'est que lorsque nous lui en avons parlé qu'il a dit qu'il souhaitait que je m'occupe de lui en premier au moment d'aller se coucher.
Est-ce que les frères et sœurs rivaux finissent par faire la paix à l'âge adulte ? Autrement dit, arrive-t-il souvent qu'une jalousie éprouvée dans l'enfance ait des répercussions négatives sur la relation à l'âge adulte ?
Oui, cela peut arriver. Il peut y avoir des situations dans lesquelles l'un des frères et sœurs se sent constamment au second plan ou est effectivement négligé et où les parents n'ont jamais rien entrepris pour contrer ce déséquilibre ressenti. Cela peut en effet laisser des blessures plus graves. Il peut alors arriver que les frères et sœurs s'évitent pour le reste de leur vie dès qu'ils le peuvent. Inversement, il n'est pas bon non plus que les parents interviennent toujours et partout au moindre signe de dispute.
Et pourquoi ?
Parce que cela empêche les frères et sœurs de construire leur propre relation entre eux. En effet, comme nous l'avons déjà mentionné, les enfants apprennent quelque chose à chaque conflit, et ces conflits et expériences communes leur permettent également de se construire une relation entre eux.
Dernière question : il n'est pas rare que les parents entendent leurs enfants dire « tu m'aimes moins que mon frère ou ma sœur ». Et si c'est vrai ? Que se passe-t-il si j'ai un meilleur contact avec l'un de mes enfants et que l'autre le ressent ?
Cela arrive plus souvent qu'on ne le pense. Mais ça reste un grand tabou, raison pour laquelle les parents n'aiment pas en parler. Car nous, parents, avons la prétention d'aimer tous nos enfants au même degré.
C'est mon cas !
Nous le faisons tous. Mais pour commencer, il est tout à fait normal qu'il y ait des phases où nous avons un meilleur contact avec un enfant qu'avec un autre. Ça m'est arrivé personnellement. À une époque, j'avais moins de liens avec l'un de mes fils, ce qui me rendait triste. Mais il est important de l'accepter et de ne pas faire comme si cette inégalité n'existait pas. Si l'enfant « moins aimé » le ressent, il faut absolument lui en parler. « Oui, je me sens plus proche de ton frère ou de ta sœur en ce moment, c'est très difficile pour moi aussi. J'espère que nous nous sentirons bientôt plus proches toi et moi. »
Vous dites que les phases sont une raison. Y en a-t-il d'autres ?
Il est normal qu'il puisse aussi y avoir un lien plus fort entre un parent et un enfant – on appelle cela le lien intuitif. On s'entend parfois mieux avec certaines personnes que d'autres, c'est un fait. Si c'est dans le contexte d'une association ou au travail, nous n'y trouvons rien de mal. Pourquoi serait-ce différent dans une famille ? L'essentiel est que nous en soyons conscients et que nous puissions également adapter notre comportement à cette situation. En d'autres termes, nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons entrer à nouveau en relation avec l'enfant avec lequel nous ressentons moins de lien.
Maya Risch travaille comme conseillère familiale, anime des séminaires Familylab et enseigne dans une école en pleine nature. Elle vit avec ses deux fils et son mari à Zurich-Oerlikon.
Deux fois papa, troisième enfant de la famille, cueilleur de champignons et pêcheur, spectateur hardcore, à moitié danois et champion du monde des gaffes.